Paul EMOND, Don Quichotte avant la nuit et Gracchus, Lansman, 2021, 100 p., 12 €, ISBN : 9782807103245
Deux textes de Paul Emond, Don Quichotte avant la nuit et Gracchus, rassemblés dans une même publication, mettent en scène des êtres proches du trépas. L’ange de la mort rôde à chaque page. Cet entre-deux – entre vie et mort – est symbolisé par une belle illustration de Maja Polackova en page 55.
Dans Don Quichotte avant la nuit, deux hommes se tiennent côte à côte dans un grand lit, dernière résidence de leur passage sur terre. L’un apprécie particulièrement la lecture. L’autre est un grand bavard. Une femme, surnommée la passeuse, les accompagne dans leur dernier voyage et leur prodigue des soins, notamment sa fameuse huile de passage. Tous deux n’ont plus beaucoup d’appétit et s’assoupissent souvent.
Après avoir lu Don Quichotte de la Manche, le premier, surnommé Quichotte, se prend pour le chevalier errant et choisit le second, surnommé évidemment Sancho, comme écuyer. Leur lit devient alors une barque, l’horloge murale un géant, le vase de nuit un casque de guerrier… Des châteaux apparaissent, l’enchanteur Friston fait des siennes, la route vers Dulcinée du Toboso est parsemée d’embûches. Quichotte y croit dur comme fer et finit par embarquer Sancho, au départ plus terre à terre, dans sa douce folie. La passeuse entre dans leur jeu en devenant la messagère de Dulcinée et en les aidant à rejouer certaines aventures du célèbre roman de Cervantès.
Avec quelques touches d’humour potache et utilisant de nombreux ressorts théâtraux, Paul Emond, qui s’inspire souvent des grands textes classiques, nous entraîne dans une surprenante adaptation de Don Quichotte. Il en dégage principalement l’humanité des deux personnages guettés par une mort imminente. On ne peut qu’être touchés par cette fin de vie épique et rocambolesque.
Changement de décor et de style pour Gracchus qui est également une libre adaptation de deux textes de Franz Kafka : Le chasseur Gracchus et J’étais un pont. Dans un cirque, un directeur, entouré de son dompteur et de son acrobate, s’affaire pour présenter le « Spectacle en tous ses états ». Mais plusieurs événements viennent perturber la préparation. Un pigeon messager, Giovanni, annonce l’arrivée imminente du chasseur Gracchus qui roule sa bosse et erre, depuis de nombreuses années, entre vie et mort. Le directeur y voit une affaire fructueuse, mais les choses se compliquent. L’amour s’immisce, ainsi que la souffrance, une révélation de l’au-delà, un étrange chœur et un terrible besoin de délivrance.
La part occulte du réel
L’aspect tangible du rêve
Par merveille se sont mêlés
Et Paul Emond réussit brillamment ce mélange de réel et d’onirisme. Dans un style poétique, l’auteur invente un récit totalement inédit pour ce chasseur Gracchus et demande pardon d’avance, dans son préambule, aux Kafkaïens puristes d’utiliser ce personnage.
Émilie Gäbele