Marc MEGANCK, Van Kroetsch 4 : Les faire taire à jamais, Lamiroy, 2021, 207 p., 20 €, ISBN : 978-2-87595-494-7
Imaginez un immeuble d’une dizaine d’étages dans lequel sont consignées des personnes mises au ban de la société pour des délits variables. Une formule intermédiaire entre la prison telle que nous la connaissons et une forme d’assignation à résidence, avec des contrôles de présence le matin et le soir, des possibilités de sorties nécessitant des démarches compliquées. C’est dans ce monde portant le doux nom de Cimetière des éléphants que nous entraîne ce roman placé sous le regard de Van Kroetsch, un détective lui-même résident, qui mène l’enquête suite au décès du veilleur de nuit et dont ce n’est pas la première apparition sous la plume de l’auteur.
Partant du principe que le meurtrier est au nombre de ses congénères, il s’arrange pour avoir un entretien avec les plus suspects d’entre eux, ce qui nous donne l’occasion de découvrir la faune qui peuple l’immeuble. Tous ont en commun de refuser la réclusion sans trop connaître les raisons qui valent aux autres d’y être soumis. Ils surmontent leur désarroi en consommant de l’alcool et des drogues (ce qui n’y est pas interdit) et surtout en contournant la règle du végétarisme absolu qui leur est imposée dans les repas servis. Un ancien boucher, condamné pour on ne sait quel délit, se fait un plaisir d’organiser des fournitures carnées au marché noir qui lui donnent l’occasion d’aiguiser ses couteaux. Un policier, déchu de ses fonctions, et qui se procure une arme, en sait plus que ce qu’il n’en dit, mais il est empêtré dans ses problèmes d’alcool. Dans l’immeuble, il côtoie un malfrat tout en muscles à qui il a eu affaire jadis et qui lui jette des regards noirs. Les choses s’enveniment quand un autre cadavre est retrouvé, puis que l’immeuble n’est plus sous contrôle et que les pulsions les plus basses s’y déploient sans retenue.
Inscrit dans la réalité spatiale bruxelloise, multipliant les allusions au quartier de la gare du Nord et à son environnement de tours de bureaux désertées le soir, au coin de refuge du parc Maximilien, Les faire taire à jamais, 4e tome des aventures de Van Kroetsch, prend des libertés avec la réalité en y inscrivant la présence du Cimetière des éléphants. Ce faisant, Marc Meganck a la voie libre pour interroger implicitement les fondements de la société, écornant les régimes de privation de liberté qui sanctionnent certains délits, le caractère impersonnel et sec des administrations, les politiques d’urbanisation qui ont défiguré des quartiers de la ville. Histoire de rappeler les vertus d’un certain désordre ou de souligner l’illusion de l’ordre parfait.
Point de gravité cependant : les touches incessantes d’humour et le recours à l’absurde confèrent eux aussi une tonalité joyeusement libertaire au récit que l’on prescrira utilement en cas d’accès de grisaille au cours de la morte saison.
Thierry Detienne