Serge MEURANT, Empreintes, Cormier, 2021, 15 €, ISBN : 978-2-875-98028-1
Avec Empreintes, Serge Meurant se signale une nouvelle fois par une poésie ayant la générosité d’être choisie. Le Cormier publie une poignée de textes simples et brefs, sortes de comptes rendus, entre manifestations du réel et projections métaphysiques.
Le dernier livre de Serge Meurant semble à juste titre vouloir porter le moins d’empreintes possible. Ce grand format de vingt-trois centimètres se distingue par son dépouillement : la traditionnelle couverture blanche du Cormier, sur laquelle nous trouvons les indications minimales (auteur, titre, éditeur, prix, ISBN et code-barres). Entre ces éléments, de grands espaces vierges informent sur un sens de l’économie que le reste du livre ne démentira pas.
Chacune des six sections dont se compose le recueil (« Récit de la faim », « Disparitions », « Les échoués », « Empreintes », « Les yeux fermés », « Seul l’avenir ») a soin de signaler son contexte d’écriture : date, support (« carnets ») ou encore, pour deux d’entre elles, les œuvres d’art plastique qui les ont suscitées (les sculptures de Philippe Desomberg, les dessins d’Arié Mandelbaum). De quoi rappeler subtilement l’attachement, pour l’auteur, à la vie concrète et aux autres arts.
En ces temps de massacres,
où pourrissent dans les fosses
les corps alignés pour mourir,
tu dresses dans l’atelier
les corps intacts
et lointains des statues.
Les fils sont cependant coupés d’avec les objets et évènements précis qui ont engendré ces textes. On y devine une mort et un deuil, des éclats de mémoire et la solitude du souvenir, la détresse des exilés, la matière des corps de pierre dans l’atelier du sculpteur, la langue éclaboussée du dessin. Un lien fugitif demeure, offrant aux textes ce qu’il faut de pesanteur pour tenir compte du réel, parfois même l’invoquer avec force.
Les poèmes, un par page, imprimés en Garamond corps 12, limités pour certains à trois ou quatre vers, occupent naturellement une zone typographique réduite, au milieu du blanc lacté du papier. Si ces composantes sont monnaie courante en poésie, elles encouragent ici un regard particulier. L’idée du blanc trouve, au fil des différentes sections, de nombreuses déclinaisons directes, qu’elle se fasse os, cendre, neige, chaux, « boîte en fer blanc », « récits […] blanchis », « béance / du blanc », « fuite vers le blanc », « soleil blanc » et même « obscurité blanche ».
Au travers d’autres déclinaisons, plus indirectes, la blancheur se fait aussi et surtout la marque de l’effacement.
L’écriture effacée,
illisible presque
sur le mur blanc
Qui dit empreintes, dit en effet support d’inscription. Ici encore, ces supports seront souvent blancs, qu’il s’agisse du papier, d’un mur ou de la neige. Enfin, comme une évidence, la tentation de blanchir les mots eux-mêmes :
Nous nous sommes retirés
dans nos mots blancs.
Cette « présence de l’effacement », à l’intérieur et autour de poèmes que l’on devine être de petits fragments choisis, corpuscules arrachés à des ensembles qui les dépassent, confine à l’éclat simple et au jaillissement discret. Les sujets en sont l’absence, le temps passé, la mort, la solitude, l’oubli, l’exil, la misère, la beauté. Le poète nous livre une pensée sans pompe, d’une humanité humble et captivante.
Parmi les plus belles pages, retenons celles émanées de l’atelier du sculpteur (la section-titre « Empreintes ») et celles consacrées aux peuples émigrants (« Les échoués »). Lorsque la densité de la pierre, le gouffre de la misère, répondent à la profondeur d’une sensibilité, Serge Meurant semble trouver le support nécessaire au déploiement complet de sa poésie.
Leurs gestes ont la retenue
de la pierre où le soleil s’éteint
et cette nostalgie vulnérable
de la beauté m’étreint.
Sculpteur à sa façon, échoué lui aussi, Serge Meurant nous livre, avec Empreintes, quelques galets à ausculter. Effets typographiques subtils, goût de l’oxymore, vocabulaire parfois vertical, révèlent une blancheur tachée d’ombre. Le poète s’y fait observateur discret, émettant depuis l’intérieur du monde. À l’appui de cette discrétion, souvenons-nous que l’empreinte, dans sa définition la plus élémentaire, dresse le procès-verbal du contact entre le vivant et la matière.
Antoine Labye