La femme qui marchait dans sa tête

Martine ROUHART, Les ailes battantes, préface de Philippe Remy-Wilkin, M.E.O., 2021, 64 p., 10 € / ePub : 6.49 €, ISBN : 9782807003057

rouhart les ailes battantesLe nouvel opus de Martine Rouhart se présente sous la forme d’un journal de bord divisé en vingt-trois tableaux. L’autrice nous y relate un fragment de sa vie réelle, lorsqu’elle a dû se battre contre un cancer il y a quelques années.

Habitée par la volonté de partager l’impartageable et d’écrire pour ne pas oublier, Martine Rouhart nous fait part de ses réflexions sur sa vie bouleversée suite à une retraite forcée chez elle. Alors que tout un chacun continue de vivre son quotidien, elle s’isole loin des bruits du monde afin de se retirer à l’intérieur de soi, là où les pensées et les émotions se bousculent, envisageant la maladie comme une chance de s’enrichir et de se recentrer sur l’essentiel.

Obligée de mettre au repos son corps rendu impuissant par la chimiothérapie, Martine Rouhart a décidé d’accepter stoïquement le cancer sans se lamenter ou nourrir de ressentiment. Elle s’attelle alors à une introspection exigeante où elle s’octroie tout de même une certaine clémence sans complaisance. Son désir d’authenticité et sa volonté d’avancer témoignent d’une belle lucidité sur la vie et lui offrent par la même occasion la possibilité de savourer avec joie les petits moments de bonheur du présent.

L’intérêt de ce court récit réside essentiellement dans le changement provoqué par la maladie sur le point de vue de l’autrice sur la vie et elle-même. Face aux incertitudes qui l’assaillent et à l’espoir prudent qui la taraude, elle a pris le parti de vivre pleinement la vie sans savoir de quoi sera fait le lendemain.

La vie est partout, brève mais insistante, intense, insouciante. Elle est en moi aussi, pressante. 
Non, ma vie ne tient pas qu’à un fil. Chaque jour, chaque minute, je tresse consciencieusement un cordage qui doit résister à la puissance de forces contraires.
Dur et rugueux, il est forgé de résolutions, d’acceptation et d’une part de résignation. Il est aussi parsemé de perles et de roses, assoupli par l’attention et la douceur de ceux que j’aime, sans quoi le fil, tendu à l’extrême, risquerait de se rompre. Je les accueille avec une gratitude infinie.
S’il y a une seule consolation, je la trouverai.

De temps en temps tourmentée par les craintes et le vertige du vide, elle sort de l’ornière, systématiquement guidée par le désir de lumière. Une belle occasion d’envisager ses difficultés avec philosophie et d’avancer le plus sereinement possible sur son chemin.

Lorsque rien ne nous est finalement octroyé, c’est la désolation qui l’emporte, la conscience aiguë, infantile, d’un abandon total et définitif. Et cela nous apprend que trop attendre est illusoire. Si l’attente est comblée, le malaise est annulé d’un coup et une immense lumière jaillit, aussi déraisonnable que l’était la tristesse. L’on s’étonne alors d’avoir tant douté. Et enfouit au plus profond de soi que le combat sera à recommencer au gré des prochaines espérances ; fuite en avant, piège dévastateur… 
Le chemin n’est pas facile et je ne suis pas certaine d’atteindre un jour une quelconque sagesse sur ce plan-là.

Les ailes battantes, un récit qui jette des ponts entre les cœurs.

Séverine Radoux