Poèmes comme ça

Marie-Jo VANRIET, beige fracas, Danchot-Pinchart, 2022, 52 p., 14 €, ISBN : 978-2-96027-962-7

vanriet beige fracasMarie-Jo Vanriet fait avec beige fracas son entrée en poésie. Un titre à l’image d’un recueil en nuances fines, contradictions douces et petites déflagrations, dont on sort empli d’images nouvelles et d’émotions surprenantes.

Lorsque nous avons cherché à en savoir plus sur Marie-Jo Vanriet, découverte avec beige fracas, nous nous sommes naturellement tourné vers la notice biographique du petit livre à la couverture blanche. Celle-ci nous apprend que l’autrice, née à Bruxelles en 1983, est notamment scénariste, plasticienne et nouvelliste.

De ses nouvelles, nous trouvons trace au moins à deux endroits. Marie-Jo Vanriet abandonnait en 2017 ses Dents de lait au grand concours de nouvelles de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Cette offrande osseuse lui valut à l’époque une publication dans le recueil du concours, toujours accessible en ligne.

Un peu plus tard, les éditions Lamiroy lui offraient une publication dans la belle collection des Opuscules, dont le #25 titre en toute simplicité : Les pommes. Curieux d’en savoir davantage, nous commandions sur le site de Lamiroy l’opuscule en question pour la somme de 4,00 €, frais de port inclus. Le livre arrivé peu de temps après par la poste, sous une élégante enveloppe de papier calque, nous découvrions une nouvelle fraîche et audacieuse, où le désir fiévreux d’une jeune institutrice pour son fiancé croisait les premiers émois d’un garçonnet, aux prises avec le sel de la trop franche camaraderie.

Des dents à la pomme, de la morsure au fruit, le ton était donné. Le lecteur friand de formes brèves devait trouver dans les poèmes de beige fracas un peu plus encore de brièveté, et surtout d’exigence, toujours sur fond de chair, d’audace et de désir.

Le recueil propose une quarantaine de textes (un par page) en vers sans rimes, dont la prosodie évoque tantôt une prose morcelée, offerte par saccades, tantôt le naturel d’une chanson, futile et désinvolte. Chacun d’entre eux semble ouvrir sur une petite fiction, dévoilant sans la montrer une auteure insaisissable derrière ses masques.

j’ai glissé mes erreurs entre les lignes
ne demeurera qu’une vérité sans façon
pas plus large qu’un sourire
j’ai su mentir discrètement

Si la plupart des poèmes de Marie-Jo Vanriet se construisent comme des textes à chute, trouvant leur sens final au contact du dernier vers, certains d’entre eux, parmi les plus brefs, se distinguent par une force d’évocation d’une simplicité exemplaire :

la beauté convaincue du contraire
ses joues s’empourprent
quand elle rit de ses maladresses

Ailleurs, on constate entre autres détails un goût manifeste de la nature (« quand le jardin rougissait/de m’entendre si nue ») et particulièrement de la forêt (« c’était un beau géant épuisé/tout en nœuds et vaines forêts ») dont les apparitions sont nombreuses et variées. Pas de concession cependant à la contemplation simple : les forêts y sont vaines ou arrogantes, les oiseaux brûlent les mains, et chaque élément de décor se met au service des sentiments exprimés.

j’ai tant pleuré qu’ont fleuri 
des herbes mauvaises aux
remords sales de mes tranchées
passez votre joie dépouillée
il n’y a plus rien à cueillir

Sur la trame d’une langue simple et claire, de nombreuses images donnent de l’élévation aux poèmes, qu’il s’agisse de périphrases et métaphores très verticales (« retrousser l’hiver », « le goût de ma voix »), ou de catachrèses revisitées (« l’orage peine à gronder ses enfants », « avant de grand brûler encore »). Figures au demeurant discrètes, dont les plus élégantes sont peut-être quelques énoncés paradoxaux instillés avec finesse (« j’ai déposé un sursaut de tranquillité », « il est si urgent d’attendre »).

Les sujets du livre sont les scènes de la vie simple, quelques morceaux du quotidien, les sentiments humains parmi lesquels l’amour, sujet poétique par excellence, traité avec maturité sous toutes ses formes et ses états. Proche du corps, proche de l’os et de l’âme, nous trouvons en beige fracas un premier essai poétique encourageant, pour une autrice qui semble avoir à cœur de rendre compte de la condition humaine à hauteur de regard.

Antoine Labye