Valérie COHEN, Qu’importe la couleur du ciel, Flammarion, 2022, 365 p., 21 € / ePub : 14,99 €, ISBN : 978-2-08-023961-7
Dans son nouveau roman, Valérie Cohen nous dévoile l’histoire de plusieurs personnages liés les uns aux autres, mais dont le lien n’apparaît pas de prime abord pour tous. Nous découvrons ainsi Sybille, une sage-femme stérile depuis un avortement, qui a élevé la fille de son mari comme sa propre fille. Depuis près de cinquante ans, elle est très proche de son amie Gisèle qui a élevé seule sa fille Barbara née d’un adultère.
Lorsque le récit s’ouvre, Barbara, la filleule de Sybille, accouche d’une petite Mila. Cette dernière n’a pas été désirée par son père et nous suivons avec curiosité le destin de ces femmes élevant ou ayant élevé seules leur fille de génération en génération.
La tension devient palpable lorsque Mila, désormais jeune adulte, décide de faire un test ADN après avoir lu une publicité. L’annonce de cette démarche à sa famille provoque un séisme: Sybille se crispe, Gisèle se renferme sur elle-même et Barbara s’éteint. Nous découvrons alors que les femmes de cette tribu soudée cachent chacune un secret sur le point d’être dévoilé.
La famille fait mal, immanquablement. De ces douleurs vivaces qui lacèrent le cœur et le font battre à la fois. Son derme gonflé lui rappelle alors les stigmates de sa déception, l’immensité de sa naïveté. Quelques heures ou quelques jours. Une minuscule piqûre, un simple bouton de rappel sur sa peau claire de rousse. Il l’accompagne quand elle glisse dans le sommeil puis disparaît, jusqu’à la prochaine fois. Évanescence des émotions. Il laisse alors en elle une cicatrice imperceptible qu’elle contemple les yeux rougis et puis, sans s’en rendre compte, elle finit par l’oublier. Et voilà qu’elle est une vieille femme…
Les liens de cœur ont beau être forts, la fuite a été la stratégie de survie de ces femmes qui ont bâti leur parcours sur le secret de leurs blessures de jeunesse. On comprend alors leur résistance à se dévoiler. La systémique est d’autant plus complexe que l’on est amené à lire l’histoire de deux personnages dont le lien avec les protagonistes n’est pas explicité de suite: il y a Noémie, qui s’apprête à laisser s’envoler son fils du nid familial, ainsi qu’Émile, un vieil homme décidé à rédiger son testament pour rendre justice à ses erreurs du passé. Qui sont-ils? Comment viennent-ils s’imbriquer dans ce filet d’Indra?
Fascinée par la psycho-généalogie vulgarisée par Anne Ancelin Schützenberger, Valérie Cohen a décidé d’écrire Qu’importe la couleur du ciel sur ce thème, nous montrant la complexité des loyautés familiales inconscientes et la répétition inéluctable de l’histoire parentale, si celle-ci est inconsciente ou jalonnée de non-dits. Son récit est écrit dans un style explicatif parsemé de retours en arrière, nous faisant voyager en Belgique, en France et en Angleterre, afin que nous puissions faire parler les silences qui ont tenu à distance le passé durant tout un temps.
La vie rejoue en boucle un même scénario dont seuls les époques et les rôles changent. Mila et Barbara reprochent à leur parente de se taire, de cacher, de camoufler. Mais Sybille ne vaut pas mieux que son amie. Complice d’un même délit, celui de draper le passé de silence et d’espérer qu’il disparaisse avec soi. Toutes deux avaient oublié un détail important: leurs souffrances murées en secret font désormais partie de leur héritage et celui-ci, après elles, ne leur appartiendra plus.
Valérie Cohen nous fait prendre conscience de la nécessité de la transparence dans la transmission de l’histoire d’une famille, mais aussi de la difficulté d’évoquer les blessures profondes qui hantent les détenteurs de secrets (« Dans cette clinique de revalidation où les hommes réapprennent à tenir debout, elle a creusé sa tombe, chaque jour un peu plus. Elle y a enterré ses rêves et s’est accommodée de la tiédeur des choses »). Loin de juger ses protagonistes, l’autrice manifeste sa tendresse vis à vis d’eux, nous rappelant la précarité des instants heureux et l’impermanence de toute chose.
Séverine Radoux