Jean DAIVE, Penser la perception, Atelier contemporain, 2022, 25 €, ISBN : 978-2-85035-063-4
Troisième volet du cycle Le monde encore une fois, Penser la perception fait suite aux ouvrages L’exclusion (2015) et Pas encore une image (2020) pour interroger le rapport, très vaste et large, de la parole à l’image. Somme d’interviews et de textes consacrés à divers artistes, Penser la perception se consacre pour sa part essentiellement à la question de la sensation au travers de la photographie, du film et de l’écriture. Comme l’écrit Jean Daive dans l’avant-propos, « Il y a très tôt une fébrilité visuelle ou acoustique qui stimule sans toutefois l’expliquer le déplacement (notre déplacement) et cherche néanmoins à comprendre ses étendues sinon son existence et ses liaisons. »
C’est ainsi que Jean Daive (entre autres poète, traducteur et animateur de radio) a arpenté, en l’occurrence en sa qualité d’intervieweur, divers lieux (de Neuilly-sur-Seine à Rome, en passant notamment par Paris ou Londres) à la rencontre de divers artistes tels que Jean-Luc Godard, Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, Chantal Akerman, Marguerite Duras, Francis Ponge, Pierre Tal Coat et André du Bouchet, Antoine d’Agata, Niki de Saint-Phalle et Jean Tinguely (pour n’en citer que quelques-uns).
« Comment peindre en vue de déterminer l’espace dont nous sommes une construction vivante, éprouvée de manière sensible et qui ne tire une image que d’une science de la nature comme méthode ? », (s’)interroge Daive à propos de Georges Braque. Cette question ainsi formulée donne l’une des clés d’appréhension de cet ouvrage qui, à l’instar d’un film ou d’un feuilleton, se divise en six épisodes, que viennent rythmer des photographies ou des documents de certains interviewés. La dimension de l’espace – observé, interrogé, retourné, condensé, saisi dans l’instant ou dans la mémoire, encré sur une page ou déroulé sur une pellicule – est l’un des fils rouges des interviews. C’est à partir de l’espace que l’échange entre Jean Daive et les artistes est amorcé.
Exercice aussi difficile que délicat selon les tempéraments des uns et des autres, l’interview devient ici un geste artistique à part entière posé par Jean Daive, en ce que cet exercice implique une qualité d’écoute qui impose moins qu’elle ne propose. Les interviews agissent alors comme un révélateur photographique, développant la ou les sensations qui ont présidé à la mise en mouvement d’une idée ou à l’élaboration d’un projet, d’un film, d’une photographie, d’un livre.
Outre l’intérêt que suscitent ces échanges pour nous, lecteurs, cet ouvrage, par la multiplicité des approches artistiques qu’il ouvre en son sein, donne à pressentir au travers de chaque échange la singularité de chaque artiste au départ de sa parole, de son corps, de son incarnation. Jean Daive en dévoile la cohérence : « (…) tel est l’enjeu du livre : il raconte les vies du mouvement ».
Charline Lambert