Pascale SEYS, Refaire un petit coin de monde, Racine, 2021, 156 p., 20 €, ISBN : 9782390251804
Après nous avoir fait lire une trilogie de philosophie vagabonde sur l’humeur du monde, Pascale Seys nous offre un nouveau recueil de réflexions philosophiques sous forme de petites histoires nous invitant à comprendre la complexité de la société à travers des questions du quotidien. Sans transition, nous sommes amenés à nous interroger sur des questions universelles telles le bonheur, la sagesse, l’éthique ou la générosité.
De la petitesse de notre regard découle le mépris et de sa grandeur, l’admiration. D’où cette conclusion prodigieuse : la vraie générosité consiste à accomplir librement les meilleures choses en ce monde en ne méprisant personne, en regardant chaque chose sous l’angle de sa grandeur, en excusant les faiblesses des autres ainsi que les nôtres. C’est en ce sens qu’il faut comprendre l’idée cartésienne selon laquelle « les plus généreux ont coutume d’être les plus humbles ». Découvrant l’infirmité de leur nature, les âmes véritablement généreuses ne se considérant, à la réflexion, pas meilleures que les autres, ne se préfèrent à personne et sont dès lors plus enclines à l’indulgence envers elles-mêmes et à l’égard des autres. C’est là faire preuve « d’humilité vertueuse », un point d’équilibre compris comme une juste estime de soi conjuguée au respect d’autrui.
Nous parcourons par ailleurs des thèmes plus surprenants et actuels à l’instar de la nouvelle mode des influenceurs, l’intérêt du vice d’un point de vue économique, les applications sur nos objets connectés ou la nouvelle ère des réseaux sociaux appelée « société liquide ».
Les individus dans la société liquide sont semblables, dit-il [Zygmunt Bauman], à un essaim d’abeilles qu’il définit comme un ensemble épars « d’unités autopropulsées reliées entre elles par la seule solidarité mécanique », sans partage de valeurs. C’est ainsi que sans racine, déterritorialisé, désynchronisé, alors même qu’il se définit comme libre, l’individu pressé de la société liquide s’affaisse et éprouve la « fatigue d’être soi », tant pèse sur ses épaules une responsabilité trop lourde à supporter. Jeté dans le monde et abandonné à lui-même, l’homme contemporain est également jetable. Il rompt au moins autant qu’il est rompu. Dès lors, ce qui reste et demeure inexploré est l’horizon d’une promesse qui consiste à faire société. La promesse d’un horizon à venir, une promesse surtout à tenir.
Pascale Seys a l’art de partager son regard acéré et bienveillant sur ce qui l’entoure avec un style travaillé, néanmoins accessible au plus grand nombre, afin d’instruire son lecteur et de le divertir à la fois en établissant des analogies entre le thème évoqué et les idées des anciens qui ne vieillissent pas, des artistes et philosophes chers à son cœur. Entre Aristophane, Atlas, Socrate, Lucrèce, Diogène ou Stendhal, nous effectuons une traversée sautillante parmi les grands afin de tenter d’appréhender le monde, de répondre aux questions qu’il suscite en chacun de nous et de tenter de trouver du sens là où il se dérobe avec l’esprit curieux, humble et rieur.
Séverine Radoux