La fièvre révolutionnaire

Philippe BRANDES,En ce qui concerne Alexandre, Accro, 2022, 361 p., 22 €, ISBN : 9782931137048

brandes en ce qui concerne alexandreAlexandre Moreau est un jeune homme qui désire effectuer des études d’architecture à l’académie de l’Ouvroir. Malgré la désapprobation de son père, inquiet de la réputation libertaire de l’école, le héros se lance à cœur perdu dans son cursus, porté par des professeurs passionnants et les manifestations estudiantines de gauche qui ont ponctué les années 1970 à Bruxelles.

Alexandre est un passionné : il met en place des projets avant-gardistes et provocateurs afin de lutter contre l’urbanisation inquiétante de la capitale dictée par les intérêts politiques et financiers. Il entre dans la vie active en devenant assistant à l’académie et en s’installant avec sa copine Véronique, mais il prend rapidement conscience de son malaise dans une vie rangée : l’amour libre marquera désormais sa vie affective, au point que le compte de ses conquêtes devient difficile.

Très impliqué dans la vie de l’école, le héros est licencié à cause de son militantisme. Il ne se laisse pas désarmer pour si peu et lance une campagne de contestation (grève et mobilisation des amis). Par ailleurs, il crée une nouvelle école de résistance anti-industrielle, qui suscite de la méfiance au début et connaît quelques problèmes de financement.

Il se réjouit en son for intérieur alors qu’il est à la photocopieuse et qu’il observe cette agitation autour de lui, ces courses d’une pièce à l’autre, ces voix dans l’atelier, avec, scandant le flux des énergies humaines, le battement de la machine qui éjecte les copies. Il comprend que c’est ça, la révolution, que c’est ainsi que ça commence, quand des amis se révoltent contre un ordre injuste, sans partition ni chef d’orchestre. Car ce qui se passe sous ses yeux ne peut être décrit qu’en termes de musique, de rythme, de concert. Le ballet des acteurs dans l’espace ressemble à un vol d’oiseaux, pareil à ces murmurations d’étourneaux qu’il avait observées dans le ciel des Ardennes avec Sandra, où chacun évoluait à son gré pour se retrouver soudain, sans qu’aucun meneur n’ait apparemment lancé de signal, unis dans une trajectoire commune.

L’intérêt d’ En ce qui concerne Alexandre ne réside pas tant dans la tension dramatique que dans le parcours du héros, décrit avec minutie, comme dans une biographie. Alexandre est entier et révolutionnaire, ce qui le rend assez sympathique, mais il doit accuser les revers de sa vie de bohème : solitaire, incapable d’entrer dans la norme, méfiant voire parano, il court après une idéal exigeant et parvient à survivre seulement au prix de quelques addictions.

Rayé définitivement des listes du chômage, Alexandre s’enfonce toujours plus. Idéaliste jusqu’à l’aveuglement, il ne peut s’adapter aux temps nouveaux. Plus de trois ans ont passé depuis l’affaire de l’Ouvroir, mais il n’arrive toujours pas à tourner la page. Son orgueil l’en empêche, sa rage révolutionnaire, sa fidélité à des idéaux désormais démodés. De tous il croit être le seul à poursuivre encore une pensée libre, dénuée d’intérêt : lui est resté un pur, alors que ses anciens collègues sont rentrés dans le rang, que Léo a tourné sa veste, que Bernard accepte tous les compromis. Heureusement, David et Myriam ne le laissent pas tomber et offrent de l’héberger.

Philippe Brandes nous donne à lire avec un style travaillé les belles années de la vie du héros sous forme de plans cinématographiques qui donnent une image très précise des différentes scènes. Un premier roman dont la structure narrative est à saluer.

Séverine Radoux