Quête et équations

Élisa BRUNE et Edgar GUNZIG, Relations d’incertitude, Préface de Yaël Nazé, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2022, 500 p., 10 €, ISBN : 978-2-87568-559-9

brune gunzig relations d'incertitude« Il n’est sans doute plus permis de croire qu’un jour nous parviendrons à tirer entièrement la nature au clair, tant elle semble comporter de niveaux enchevêtrés, mais le nombre de phénomènes expliqués s’accroît continuellement, et j’aime fixer mon regard sur ce capital. »

Tout part d’un ébranlement sensible : Hélène Anciaux, une jeune journaliste scientifique, pousse la porte d’un amphi, attirée par le titre d’une conférence donnée par le professeur Edgard G. Charmée, par l’épaisseur poétique des mots de l’intitulé de ladite conférence comme par l’orateur, physicien de son état, la jeune journaliste se lance dans le projet d’en rédiger un article. Hélène et Edgard se rencontrent très rapidement, mus par le même désir de rendre accessibles les découvertes des physiciens. Le premier rendez-vous est fixé au 11 septembre 2001.

Tout part d’un ébranlement intérieur et collectif : les deux tours s’effondrent, les évidences vacillent et le doute s’installe. Il faut ordonner ce chaos, remettre ses notes en ordre, remonter aux premières questions : d’où vient ce goût pour la physique ? D’où vient ce désir d’élucider les lois de la nature ? D’où venez-vous ?

La jeune journaliste pressent en effet que les événements de la vie d’Edgard et l’étude scientifique s’imbriquent, sont indissociables, ne sont pas que pures coïncidences. Toutes les semaines, leur discussion partagée s’enrichit, s’approfondit, s’épaissit. Vulgariser un propos complexe est un travail difficile, ardu et exigeant, qui demande une disponibilité tant émotionnelle qu’intellectuelle. Ce travail de vulgarisation s’enracine dans le vécu, puise ses analogies dans le sensible, prend appui sur sa propre histoire avant d’être intellection. Derrière la plus belle équation se cache un événement, une douleur, un tempérament, un mystère personnel à élucider.

Issu d’une mère polonaise et d’un père tchèque décédé durant la guerre, Edgard G. a eu une vie très mouvementée. Ce sont les événements de sa vie – les mathématiques en Pologne, les cachots de la douane indienne, les rapports plus ou moins difficiles avec sa mère ou avec son fils, l’engagement politique de ses parents, ses péripéties amoureuses – qui lui ont permis d’approcher le monde par la physique et mettre au point la théorie du bootstrap par exemple, ou d’éprouver le vide quantique avant de pouvoir le mettre en équation.

Initialement paru aux éditions Ramsay en 2004, Relations d’incertitude d’Élisa Brune et d’Edgar Gunzig reparaît dans la collection Espace Nord, assorti d’une préface de l’astrophysicienne Yaël Nazé. Cette dernière rapproche à raison le présent ouvrage des écrits de vulgarisation qui souffrent encore, hélas, de nombreux préjugés. Pourtant, ces écrits possèdent une force de compréhension du monde et de soi à l’instar des œuvres littéraires ; comme l’écrit l’astrophysicienne : « il est temps de cesser cette séparation stérile entre activités intellectuelles de valeur ». Prenant à certains moments l’allure d’un polar, ce livre tient son lecteur en haleine : il veut lui aussi, de la vie d’Edgard ou du cosmos, en découdre. Mais la vie amène toujours son nouveau lot de questions ; la quête est, heureusement, infinie.

Charline Lambert

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