Au feu !

Claude DONNAY, Pourquoi les poètes n’ont jamais de ticket pour le paradis, Arbre à paroles, 2022, 14 €, 106 p., ISBN : 9782874067204

donnay pourquoi les poetes n'ont pas de ticket pour le paradisDans une série de Poèmes pour – la formule inaugurant le titre de presque tous les poèmes de son recueil – Claude Donnay traverse, entre autres étrangetés, « les époques éteintes », « les jours de pluie », « un matin sourd » ou encore « une vie sans mesure ». Cette collecte, publiée aux éditions de l’Arbre à parole sous le titre Pourquoi les poètes n’ont jamais de ticket pour le paradis, œuvre à la réanimation de nos existences diagnostiquées « engourdies ».

Le quotidien et, plus largement, le monde contemporain se trouvent au cœur de la poésie de Claude Donnay. L’un et l’autre brillent par les horizons qu’ils écrasent et les libertés qu’ils entravent. Par exemple, le confinement, expérience désormais déniée, se rappelle à notre bon souvenir dès l’ouverture du recueil dans des vers tels que :

       Nous vivons une époque éteinte,
une vie de couvre-feu sous la cendre des villes et des rires,
une époque de portes borgnes et de voix assourdies,
de printemps rangé dans une boîte à trésors,
[…]

Si l’époque est éteinte, le monde, lui, « a mal au bide ». Une rumeur se propage, entrainant dans son sillage des sujets de société (féminisme, immigration, intégrisme, écologie) qui sont autant de maux que pourtant l’on se refuse à voir. Par le fait du poète qui dénonce cette conception nouvelle de la vie (étouffée, tamisée, dans la demi-mesure et aveugle), elle s’infiltre dans le capitonnage qui isole les consciences. Peut-être, nous dit-elle, serait-il temps d’écouter les poètes :

Faudrait écouter les poètes,
       déguster, mâcher, avaler leurs mots
       […]
Faudrait une rumeur faudrait
       tendre l’oreille à la voix qui dit :
       on n’est pas dans un rêve mais on vit
            sans portes ni fenêtres
            les poings serrés mais le cœur ouvert
            on vit  on vit  ensemble  on vit

Mais que peuvent bien dire les poètes et pourquoi les écouter, ces doux illuminés ? La réponse est dans la question, car selon toute vraisemblance, le poète Claude Donnay est en feu ! Le poète brûle !

Nous vivons une époque éteinte,
       mais moi je brûle à pleine peau,
             à peau de soleil,
             à peau de couleur,

Bien entendu, l’image du poète en feu est un prétexte à penser la fonction de la poésie, à l’origine du brasier (« À défaut de mener une vie propre, j’écris de la poésie / pour enflammer l’étoupe du jour […] »). D’une part, celle-ci permet, si pas un ré-enchantement du monde, du moins un ancrage plus profond à la réalité de l’individu et des choses. Elle est une loupe à ausculter la vie tout autant que la pensée :

Que regardes-tu dans la pluie ?
Les empreintes d’une tristesse enroulée en toi,
un liseron, un lierre en lianes,
enroulé en toi,
et les fleurs qui se fanent comme ton regard comme ton regard
dans la pluie,
ton regard obstiné à semer des doigts
à travers la pluie,
des doigts de folie, des doigts de vers, des doigts
qui naviguent et volent,
[…]

D’autre part, elle insuffle au poète l’énergie nécessaire à l’action. Celui-ci devient son bras armé, pourfendeur d’une époque placide, sculpteur d’un monde en devenir :

Je brûle d’un temps présent dans mon ventre, d’un
présent à enfanter,
à déchirer, émietter au hasard des lèvres,
d’un présent à vivre entre les tenailles des mains,
qui prennent le monde, travaillent la terre et la chair,
[…]

Le grondement de révolte qui anime la figure du poète est accompagné de ses tambours de guerre. Musiques jazz et rock se permettent des incursions dans le recueil (« Je ne jure que par le beat d’Art Blakey sur ma peau en / transe », « quelques mesures de Bohemian Rhapsody / pour allumer un regard à défaut d’un rêve ») et annoncent le rythme, la mesure, comme outils de propagation du feu. Des allusions à la Beat generation (« C’est si triste de mourir / sans un chant d’Atualpa Yupanqui / sans un vers d’Allen Ginsberg ou / un baiser de Jeanine Pommy Vega ») viennent, quant à elles, définitivement entériner l’influence d’un tempo extérieur sur la poésie de Claude Donnay – au point qu’il en perd le contrôle –, scellant la question du rythme à l’idée de la résistance passive :

Les arbres appellent à la résistance, passive certes,
souterraine,
            mais résistance, présence muette
       qu’un pic noir sonorise à coups de becs rageurs.
       Rythme beat du pic, rythme toc toc pic pic
       pic et pic et colegram
            bourre et bourre et ratatam.

En eux-mêmes, les poèmes sont rythmés par l’omniprésence d’anaphores et de vers récurrents au point d’en devenir refrains. Quelques calembours et mélanges des registres de langages sont autant de brisures qui permettent de repérer le tempo nouveau à l’allure duquel Claude Donnay voudrait bien faire battre le cœur du monde à seule fin de l’embraser.

Camille Tonelli

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