Spleen et éros

Tristan SAUTIER, Vrilles, Illustrations de Liliane Gordos, Coudrier, 2022, 100 p., 18 €, ISBN : 978-2-39052-042-9

sautier vrillesDans ce recueil poétique placé sous le signe du rock et de l’ivresse, des bacchanales et de l’enfer, Tristan Sautier interroge, au plus nu, sans filet ni garde-fou, les rives du vivre et du mourir, de l’écrire et du jouir. Tom Waits et Rimbaud, les dieux tutélaires en exergue, donnent le beat d’un texte composé de divers fragments (écrits entre janvier 2013 et décembre 2021) qui, au travers d’une écriture ramassée, se tiennent au plus près de la traversée du rien, du temps des libations et des corps qui s’étreignent. Auteur d’une importante œuvre poétique et critique, aussi marginale qu’intransigeante (Le temps interdit, Le piège du sacré, Claire Venise, Lettres brûlées à l’amoureuse, En terre étrangère, Corps né sans, Embruns…), Tristan Sautier fore des textes à la verticale du vivre et de l’éprouver, voyageant dans des paysages où le réel siffle, où les sensations se resserrent sur les gouffres et sur les extases, sur le spleen et sur éros.

le temps l’alcool la mort
votre crâne souriant déjà
à sa future prochaine nudité
l’avenir appartient aux seuls chats

 Lointain descendant de Villon (lequel ouvre la sous-partie intitulé « Le décharnement »), le poète recueille la quintessence de quelques moments où le feu s’étreint lui-même, où le néant rend l’âme devant son impuissance et son propre rien. Avant de délaisser la plume, Rimbaud nous a laissé les fulgurances de sa saison en enfer. Avec Vrilles, la « saison en enfer » cède la place au linceul des quatre saisons, à « l’enfer de toute saison », sans plus d’échappatoire hors des crocs du pandémonium. Si la vrille du verbe ne suit que des mouvements descendants, l’arpentage des abîmes laisse fulgurer des trouées dionysiaques, des convulsions sensuelles avec les amantes.

amante profonde amante
ma déchirure dit un poète
il n’est sauvetage que ton sexe

Apporté par la chair, par les corps en liesse, le salut danse sur ce qui transgresse l’impossible métier de vivre. Les ombres avinées de Charles Bukowski, de Dylan Thomas, les spectres de Jim Morrison, de Jim Thompson, de Beckett, de Céline planent sur une écriture qui sacre ses noces avec l’impossible, avant que le monde ne sombre dans la musique définitive des feuilles mortes.  

Le mouvement génétique vers « les ténèbres de la naissance » s’inscrit dans une méditation désabusée, à fleur de lucidité, sur le rien posé comme horizon ultime de toute destination.

en marche vers l’oubli
en marche vers le rien
en marche vers la cendre
seul le temps marche vers le temps

Dans sa barque poétique, Tristan Sautier élève au ciel des mots-vignes, des mots-vrilles, gorgés de blues et de peaux moites, des mots arrachés à la nuit, qui cognent les paupières de l’aube et trouent l’empire de l’ennui. L’ossuaire n’aura pas le dernier mot tant que les chats convoqués par Tristan Sautier s’activent à libérer l’énergie des anti-sépultures et des contre-chutes.

Véronique Bergen

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