Liliane SCHRAUWEN, Irréversible, M.E.O., 2023, 128 p., 15 € / ePub : 8,99 €, ISBN : 9782807003651
André est un homme de trente-deux ans assis seul sur une chaise dans une pièce vide où il se sait observé par des personnes habillées en blanc. Nous plongeons ainsi dans les réflexions de cet individu mystérieux étranger à lui-même et au monde qui l’entoure.
Touché régulièrement par des absences de quelques minutes à plusieurs heures, il ne sait pas ce qui advient de lui lorsqu’il s’enfonce dans ce qu’il appelle le néant. Il parle peu voire pas du tout, n’exprime pas de besoins et ne comprend pas les codes sociaux des êtres humains, qu’il se contente d’imiter car il a déduit que c’était ce qu’on attendait de lui.
Nous comprenons assez vite qu’André a commis un acte criminel grâce à des fragments laconiques et aux notes prises par le médecin qui l’observe et tente de déterminer sa pathologie.
La lecture du début du roman exige un effort des lecteurs tant il est difficile d’entendre le mode de fonctionnement singulier du protagoniste. Fatigué par sa manière d’être au monde, il préfère vivre ses absences car lorsqu’il les traverse, il n’a plus peur, plus mal, il ne sent plus rien, au contraire des moments où il se sait vivant. Au fur et à mesure que nous avançons dans le récit, nous sommes amenés à approcher de plus en plus près la détresse de cet homme qui a l’impression de vivre une succession d’instants incompréhensibles, persuadé que la réalité n’est pas ce qu’elle paraît être, doutant même de sa propre existence.
Dans Irréversible, Liliane Schraûwen nous donne à lire une histoire qui crée un sentiment de trouble légèrement oppressant chez le lecteur. À travers des fragments qui confèrent un point de vue différent sur les faits et les pensées du héros, l’autrice nous fait appréhender la grande souffrance d’un moi fragmenté, afin de nous faire comprendre l’incompréhensible, d’humaniser un acte inhumain en apparence.
Je me retrouvais près d’elle, au creux de cette vie qui était la nôtre, au centre de cette maison, de cette chambre, couché souvent dans ce lit qui au début m’avait effrayé, de cela aussi je me souviens. Jusqu’au moment où c’est une autre qui s’y est trouvée avec moi. Quelqu’un qui lui ressemblait, même visage, même chevelure, même parfum. Mais il y avait quelque chose de différent dans son regard, dans sa voix, dans ses gestes. Elle me repoussait comme on fait d’un étranger, d’un inconnu. Moi, j’ai cru que c’était l’un de ces jeux qu’elle pratiquait, un jeu compliqué aux règles incertaines, quand on dit non pour signifier oui, quand on fait semblant mais qu’il faut comprendre autre chose que ce qui paraît.
Avec un style travaillé où elle perturbe habilement les codes narratologiques habituels, Liliane Schraûwen fait vivre à son lecteur un sentiment d’étrangeté similaire à celui d’André à travers un narrateur qui s’exprime tantôt à la première personne, tantôt à la troisième, représentant souvent André, parfois sa victime. Un travail littéraire intéressant dont la fin ouvre à plusieurs interprétations possibles.
Séverine Radoux
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