La princesse enfermée dans sa prison dorée se réveilla

Anne DUVIVIER, Eden Beach 1970, M.E.O., 2023, 195 p., 18 € / ePub : 10,99 €, ISBN : 9782807003682

duvivier eden beach 1970Comme le titre l‘indique, l’histoire de ce roman d’Anne Duvivier se situe en 1970 à Eden Beach, une station balnéaire dans le Maryland. Charlotte, une jeune femme de 22 ans, vient d’y trouver refuge quand son mari lui a annoncé qu’il aimait une autre femme.

Née avec une cuillère en argent dans la bouche, Charlotte a toujours été « la fille de », puis « l’épouse de ». Elle se retrouve seule dans un endroit inconnu où elle est obligée de travailler pour la première fois afin de financer son séjour. Très vite, elle rencontre Cookie, qui va quelque peu bousculer Charlotte avec son caractère libéré assumé et son franc-parler (« T’es pas au service de ton mari. Arrête d’être une potiche. Ton Miguel, il n’a pas l’air de se soucier de savoir ce que tu deviens. »).

Charlotte est un pur produit de la bourgeoisie patriarcale. Élevée par des parents guindés et malheureux, elle applique à la lettre les valeurs qui lui ont été inculquées sans les avoir jamais remises en question. Elle a ainsi eu l’impression de devenir une femme accomplie lorsqu’elle s’est mariée à Miguel et qu’elle a quitté sa Belgique natale pour l’accompagner suivre son master en Administration des affaires aux États-Unis.

Elle aurait voulu entamer des études d’interprète. Elle est douée pour les langues. Son père l’en a dissuadée, À quoi bon ? Un jour tu te marieras. Son père lui a laissé entendre que les hommes n’aiment pas les femmes trop instruites. Il a clos la conversation par un Contente-toi d’être jolie, avant de l’inscrire au cours Melius, une école privée pour jeunes filles de bonne famille.

Cependant, derrière ce bonheur qui respecte parfaitement les convenances, Charlotte s’est rendu compte qu’elle tournait en rond en attendant son mari (elle n’avait pas de visa de travail), qu’elle n’avait pas d’amis et que les sources de satisfaction de la vie conjugale n’étaient pas si merveilleuses qu’elle l’imaginait.

Elle se lance alors dans l’arène de la vie, en se frottant à ses aspects plus âcres : elle apprend à travailler comme serveuse, à s’affirmer face à une collègue revêche, à mettre ses limites avec un patron qui lui demande un service à la frontière de la légalité, mais elle se fait aussi de vrais amis et apprend à écouter ses désirs, à se laisser guider par eux, en passant par des phases de doutes et de questionnements.

Eden Beach 1970 est un récit léger écrit dans un style familier et spontané où nous suivons les tribulations du nouveau groupe d’amis de Charlotte, mais c’est également un roman féministe dans le sens où il nous présente une héroïne aveuglée par le patriarcat et qu’un court séjour immersif dans « la vraie vie » va initier à une autre manière de vivre et de penser. Elle va s’ouvrir à la libération sexuelle, au cannabis, mais aussi à l’antimilitarisme qui prospère en Amérique à cause de la guerre du Vietnam.

– Rick, c’est un pauvre gars qui peut pas se payer des études. Et pas de chance pour lui, il a été tiré au sort. Direction le Vietnam.
– Avec, avant ça, un petit séjour de vacances en Louisiane, précise John. À Fort Polk, ou Tigerland dans le jargon si tu préfères, pour apprendre à manier un M16 et descendre du Viet. À moins qu’une fois là-bas, ça soit lui qui se fasse descendre. Ou pire, estropier, et qu’il revienne en morceaux, plus bon à rien. Une vie foutue à pas même vingt piges. T’as jamais entendu des conneries pareilles ? Moi, ça me fait gerber.

Elle qui n’était préoccupée que par sa vie conjugale, elle se rend compte via ses nouveaux amis que de nombreux événements importants se passent dans le monde et qu’elle peut se positionner par rapport à eux. À une époque où le divorce est mal vu, surtout par ses parents, Charlotte va devoir faire un choix car son séjour se terminera un jour et elle devra décider ce qu’elle veut faire de sa vie. Il n’est pas si simple de se faire à l’idée qu’elle a des droits et qu’elle peut faire ses propres choix, alors que ses parents et son mari lui ont toujours inculqué le contraire…

Séverine Radoux

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