Derrière les mots

Michel VOITURIER, Mi-fable mi-raison, Traverse, 2022, 154 p., 17 €, ISBN : 9782930783437

voiturier mi fable mi raisonDans l’ombre de la fiction, la raison ne cesse d’agir. Elle guide le choix des mots, l’ordre de la phrase, l’enchaînement des faits, tend le fil de la narration, son ordonnancement sur la ligne du temps. Elle orchestre le scénario, règle l’aiguillage des destins, leur articulation avec ce que nous savons du passé et rêvons de l’avenir, négociant avec les opinions de l’auteur, tenant compte de sa volonté ou non d’y développer sa propre vision du monde, ses choix de valeurs. Si le plus souvent elle se fait discrète, parfois elle s’exprime à découvert, comme elle le fait dans ce recueil de textes brefs de Michel Voiturier, en marge de micro-fictions dont la taille varie de quelques lignes (le plus souvent) à 2 pages (tout au plus), à telle enseigne qu’il contient plus de 90 textes sur 146 pages. Les personnages qui défilent demeurent dans l’indéfini, ils ne sont pas nommés, ils sont présentés sous le régime de la troisième personne. Des quidams, que nous pourrions être, saisis dans leur banalité quotidienne en petits fragments de vie :

Esthétique

Dans le village ouvert sur l’estival, des dizaines de peintres exposent leur production sous un soleil Van Gogh qui est bien le seul à être pictural.
Le snobisme ici est à l’envers. Le public touristique se précipite sur ce qu’il croit reconnaître. De quoi afficher un fragment d’évasion au-dessus du canapé en skaï du salon. 

Fidèle au titre qui les chapeaute, Michel Voiturier, dont l’abondante bibliographie atteste de l’activité poétique déployée depuis plus de 60 ans, parsème ses instantanés des réflexions sur le monde dans lequel il vit. Dans une prose sobre, par la force des choses, il y souligne volontiers les situations absurdes, les contradictions de ses semblables, les menus plaisirs qu’ils se ménagent, leur façon de s’accommoder de la mort et des tourments, les coïncidences singulières et la poésie des choses qui se fraie un chemin dans ce désordre troublant. Le tout avec un brin d’ironie, d’humour décalé, mais sans cynisme aucun, avec une forme de tendresse pudique pour le genre humain. À ce jeu, qui associe fable et raison, il nous renvoie à notre condition les bras pleins de mots, d’une bourrade fraternelle. Avec le clin d’œil de rigueur que l’on adresse à ceux dont on sait être le semblable.  

Thierry Detienne

Plus d’information