Giovanni LENTINI, André Antoine le dernier prêtre-ouvrier, Cerisier, coll. « Quotidiennes », 2022, 128 p., 14 €, ISBN : 9782872672400
Qui se souvient encore qu’il y a eu des prêtres-ouvriers ? C’est une espèce en voie de disparition au même titre que le rhinocéros blanc dont le dernier individu mâle est mort le 19 mars 2018. Deux femelles sont encore en vie, ce qui augure mal de la survie de l’espèce.
D’ailleurs, les temps ont tellement changé que quand on lit la première occurrence de P-O dans le livre, on se demande ce qu’un Pouvoir Organisateur vient faire dans cette galère ! C’est donc à bon escient que Giovanni Lentini s’intéresse à cette problématique et on en sait gré aux éditions du Cerisier, toujours fidèles à leur conscience sociale.
Giovanni Lentini, sociologue et animateur à la Fondation André Renard, connaît et côtoie André Antoine, prêtre-ouvrier et militant et puis délégué FGTB, depuis les années 1970 mais ce livre est né d’une série d’entretiens soutenus fin 2021.
L’ouvrage commence par retracer, de manière très utile, l’historique de ce qu’il est convenu d’appeler la doctrine sociale de l’Église. Le Pape Léon XIII promulgue l’encyclique Rerum Novarum en 1891 sous la pression de prêtres (Adolf Daens qui fonde le CVP en 1883 ou Henri Lacordaire entre autres) qui sont ouverts à la cause des déshérités et du monde du travail et dans un contexte d’extrême pauvreté du prolétariat, de hausse du chômage et de baisse des salaires, de grèves violemment réprimées par l’armée au prix de nombreux morts et blessés parmi les ouvriers contestataires. Il suffit de penser au film Daens ou de relire Germinal d’Émile Zola ou les récits de Neel Doff. C’est en 1899 qu’un dominicain belge est le premier prêtre-ouvrier (il travaille quelques mois dans une mine du Borinage) et va fonder la CSC. Mais le chemin des prêtres-ouvriers sera long et difficile, ce concept révolutionnaire étant plus souvent combattu voire interdit par le Vatican plutôt que soutenu, ou disons, vaguement toléré.
André Antoine est né dans une famille nombreuse, catholique – engagée à la JOC –, et ouvrière, mais qui ne va pas le rester puisque le père deviendra « petit employé ». C’est là qu’on met le doigt (un peu) sur le problème : les ouvriers, en général, font tout pour que leurs enfants connaissent une meilleure vie qu’eux. Quand on n’a pas de beaux résultats à l’école, maman nous brandit une menace : « Vous voulez allez travailler à l’usine quand vous serez plus grands ? » C’est triste.
André Antoine entre au séminaire en 1968, cinq ans après le concile Vatican II et l’heure est au questionnement critique, au changement de paradigme et, de fil en aiguille, de rencontres en questionnements, il demande à faire son stage avant l’ordination sacerdotale « comme préparation à la vie de prêtre-ouvrier »… et du coup, ledit stage doit durer deux années plutôt qu’une ! C’est encou-rageant…
Au fil des chapitres, André articule les différents axes de sa « carrière » de P-O /chômeur /employé/retraité avec sa conception de l’annonce de l’évangile. Car il n’est pas facile d’être atypique partout : prêtre parmi les ouvriers, mais quand même ouvrier parmi les ouvriers,… et marginal dans son Église. La suite du récit – l’engagement syndical (à la FGTB de surcroît), les moments de fierté, les déceptions, la dureté des conditions de travail, les luttes mais aussi la solidarité – sont passionnants à lire et apportent un éclairage sur une situation trop oubliée. Avec un constat sans appel : treize prêtres-ouvriers à Liège en 1975, quatre en 2013, et le dernier survivant en 2023. D’un autre côté, il y a-t-il au moins UN ouvrier à la Chambre ou au Sénat ? et dans le Conseil d’Administration d’Engie (au hasard) ?
Une dernière section rassemble neuf courts témoignages de gens qui ont connu André Antoine dans le cadre de son engagement. Et merci à Jacqueline M. pour ses bonnes questions sur le sujet.
Bref, un récit qui appelle chacun à réfléchir…
Marguerite Roman