Didier ROBERT, Une pêche miraculeuse, F Deville, 2022, 59 p., 9 €, ISBN : 9782875990624
Une pêche miraculeuse est un micro roman qui dévoile une histoire familiale se déroulant dans un huis clos étouffant. C’est la saison de la pêche, Roger et Lisa sont partis avec la caravane et leurs deux enfants pour s’adonner à ce loisir saisonnier.
La tension est palpable lorsque Lisa et ses fils s’arrêtent presque de respirer lorsque Roger revient d’un apéro qui a duré plusieurs heures. Il a l’alcool violent et la situation dégénère vite, d’autant plus que sa femme est fière et rend coup pour coup jusqu’à ce que l’inégalité physique prenne le dessus. Les enfants ne sont pas en reste dans la mesure où ils reproduisent entre eux la violence dont ils sont victimes, ce qui donne à lire une scène de pugilat puissante, presque surréaliste.
Le narrateur est le frère cadet, Jimmy, il appelle ses parents par leur prénom et surnomme son frère « l’Autre », conférant un sentiment de malaise dans cette systémique familiale d’une violence inouïe. Dans cette famille, lorsque Roger est contrarié par ses enfants, il leur jette des mégots et des cendres sur la tête, quand sa femme l’embête dans la voiture, il roule au point de les mettre tous en danger et se nourrit de la peur qu’il suscite dans leur regard. Tous les prétextes sont bons pour entrer à l’assaut et chercher à se battre. Cette menace permanente d’explosion est saisissante…
Au détour d’un rebondissement dans « la danse du chauffard ivre », Jimmy passe la nuit seul avec son père, qui se métamorphose mystérieusement. Les tentatives de provocations écartées, on découvre un homme calme qui prend son fils par la main et qui ne l’insulte plus. Jimmy vit alors ce moment trop rare d’intimité et de confiance comme une petite pépite et se délecte de chaque instant…
Le récit est très court et heureusement pour le lecteur, cela lui permet de sortir de la lecture presque indemne. À travers un style simple composé essentiellement de phrases juxtaposées, nous entendons la voix d’un jeune homme qui connaît son père d’une manière qui fait froid dans le dos.
La bière ou le vin, ça pouvait aller, mais le pastis était ravageur. S’il avait mélangé les alcools, le pire était à prévoir. Le whisky, les alcools anisés, le cognac le rendaient dingue. Le Pernod, c’était le pire. Passé quelques doses, tout devenait explosif. À cette heure, il aurait pris au moins quinze verres, avalés en trois gorgées. Une telle quantité aurait assommé un bœuf, mais Roger parvenait encore à marcher et à conduire, enfin, filer, voler, rouler sur deux roues dans les virages.
L’auteur a bien fait transparaître l’amour, l’admiration, la peur et la colère qui sont inextricablement liés dans une telle configuration familiale.
Il se planta devant ses fils. L’odeur de tabac, d’alcool et de poisson me captiva de nouveau. J’aimais ces parfums forts et terribles. Ils étaient mon père et mon père était beau.
Là, campé devant nous, si violent qu’il puisse être, il était beau. Son corps élancé, le visage hâlé par le soleil et le vent, ses mains, immenses battoirs, le regard d’une insolente sévérité, ses cheveux fins, le rendaient d’une saisissante beauté.
Entre terreur et admiration, je le voyais magnifique. Je le craignais. Dans les heures qui suivraient, je serais plein de tristesse. Le lendemain, je ressentirais des élans interdits de colère. Là, j’étais un enfant fasciné, un être acquis à la cause de la beauté et de la grâce.
Nous ne voulons pas savoir, nous ne voulons pas croire ce que nous lisons. Didier Robert a le mérite de pointer du doigt un sujet encore tabou et de donner la voix aux sans voix. À lire quand on a le cœur bien accroché.
Séverine Radoux