Il était une (double) fois

Un coup de cœur du Carnet

Myriam MALLIÉ, Le cercueil de verre, Esperluète, 2023, 80 p., 18 €, ISBN : 9782359841671

mallié le cercueil de verreBlanche-Neige, Cendrillon, La Belle au bois dormant, Le Petit Chaperon rouge, La Petite Gardeuse d’oies, Le Vaillant Petite Tailleur, Le Joueur de flûte de Hamelin, Hansel et Gretel, Le Loup et les Sept Chevreaux, Les Musiciens de Brême… Combien de contes et légendes des frères Grimm se sont faufilés dans nos tendres oreilles et peuplent notre inconscient depuis lors ? Il en est de moins connus, et tout aussi fantastiques, qu’il est enthousiasmant de (re)découvrir grâce aux conteurs, ces chaînons d’une longue tradition spirituelle qui palpitent de « cette sensibilité particulière à cette sorte de force vibratoire que les grandes images de notre imaginaire continuent d’exercer sur nos esprits et nos corps, à travers le temps et l’espace ». C’est le cas du Cercueil de verre, dont Myriam Mallié offre une passionnante lecture dans son livre éponyme publié aux précieuses et minutieuses éditions Esperluète.

« Que nul ne dise qu’un pauvre tailleur ne saurait aller bien loin, ni parvenir aux grands honneurs ! Il lui suffit seulement de frapper à la bonne porte et que cela lui réussisse, ce qui est la chose principale », tel est l’incipit du conte qui nous occupe. Délivrer ainsi d’entrée de jeu sa morale et, qui plus est, la formuler de manière quasi dogmatique, voilà qui déconcerte la narratrice. En quête de réponses, elle se tourne alors vers Elisa, une amie qui écorce les roseaux et tisse des récits avec une agilité éblouissante. À deux, au bord d’une berge, elles questionnent l’ici et maintenant ainsi que l’ailleurs et jadis. Au cours d’une discussion dynamique, elles entremêlent en effet conte originel, commentaires nourris et interprétations ouvertes, et perpétuent par leurs paroles croisées son pouvoir d’enchantement.

Dans cet ouvrage, la narration se dédouble donc intelligemment. En arrière-plan, d’un côté, une noble orpheline, un magnifique château qui l’abrite avec son frère bien aimé, un inconnu maléfique qui s’invite ; de l’autre, un jeune tailleur, une forêt vivante et majestueuse, une cabane forestière où chercher asile. Car « [le temps des contes] s’installe aussi dans des lieux différents et dans une simultanéité d’actions-événements-personnages dont le lien nouveau, vivant et nécessaire va apparaître peu à peu, du moins on l’espère et sur lequel on aura plaisir, et intérêt, à s’interroger ». Les personnages se rencontreront, il ne peut en être autrement, et leur futur nous est déjà connu, mais qu’importe, l’important étant « le chemin autant que le but. Le chemin et une certaine pratique de la marche devenant le but. Juste ça. » En avant-plan, une expérience de lecture étourdissante : on ne lit pas ce livre, on l’« entend ». L’oralité prend magiquement voix sans que rien ne paraisse artificiel ni ne relève de la divagation. Ce dispositif particulier donne au contraire un relief, une matière et une texture inattendus aux phrases déployées et aux idées effleurées (la solitude, l’intuition, l’ancrage, l’évolution, le rêve, les symboles, le destin, etc.). Cet ouvrage, généreux et dense, permet d’approcher l’esprit conteur « [qui] est puissant et n’a pas d’âge. Il oblige le regard à se tourner vers l’intérieur. Cette parole-là est du côté de la vie, elle en est le rempart et peut-être l’appui le plus sûr. » Et l’on ne peut que remercier chaleureusement Myriam Mallié pour cet étonnant voyage.

Samia Hammami

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