Un coup de cœur du Carnet
Thierry WERTS, Le monde rêvé d’Alva Teimosa, La Trace, 2023, 130 p., 16 €, ISBN : 979-10-97515-79-9
Dans un format poche et avec une couverture au graphisme élégant, Le monde rêvé d’Alva Teimosa, troisième livre de Thierry Werts après For Intérieur (éd. PIPPA) et Demain n’existe pas encore (déjà aux éditions La Trace) accroche d’emblée le regard. La lecture vient confirmer le charme de la couverture.
On sent que chaque mot a été soigneusement choisi ainsi que sa disposition sur la page. On découvre l’héroïne, Martine Robico, en pleine ascension du sommet de la Pierre Avoi, dans le Valais, près de Martigny. Ce prélude l’amène devant une stèle à la mémoire d’Alva Teimosa, décédée à 40 ans. On devine que les deux femmes sont liées par un secret intime, mais aussi que la vie de Martine Robico se vit à la lisière du monde, dans une solitude assumée, comme nous invitent à le penser ces quelques lignes épurées :
Cheminer ainsi
seule
dans la rigole du monde qui l’entoure
est son quotidien.
Les hasards de la vie professionnelle ont amené les deux femmes à se rencontrer au Palais de Justice de Bruxelles, dont Thierry Werts parle en connaisseur pour avoir lui-même travaillé comme magistrat depuis 1992. Il met en avant dans ce roman un métier rarement mis en scène en littérature : celui d’une greffière. Elle l’exerce avec une grande rigueur et, même si elle la confronte à une humanité chahutée, cette profession représente tout pour Martine Robico.
Dans l’ombre du juge,
elle brasse la misère du monde
par pelletées.
Charrie des torrents pouacres
de boues infâmes.
Quant à la jeune juge au nom exotique, Alva Teimosa, nommée récemment au Tribunal de la jeunesse, elle est animée d’une autre obsession : celle d’avoir un enfant, quitte à le faire seule, ce qui n’a rien d’une sinécure. Au fil de leurs journées de travail et même au-delà, la greffière va entrer de plus en plus dans l’intimité de la juge et découvrir rapidement la face cachée du personnage.
Sur ces entrefaites, à quasi la moitié du roman, entre en scène un couple inattendu : celui de parents porteurs d’un handicap mental dont les enfants ont été systématiquement placés à la naissance par le juge précédent. Pour leur plus grand désespoir. Quand la nouvelle juge reprend leur dossier, l’espoir renaît chez ce couple désenfanté dont la femme est enceinte pour la septième fois et qui ne comprend pas trop bien pourquoi le système judiciaire s’acharne contre eux en les privant d’un bonheur élémentaire. Quant à la juge, elle voit dans la rencontre avec ce couple désespéré la possibilité de trouver une solution à son propre désespoir, quitte à prendre les risques les plus fous.
À partir de la confrontation entre ces deux mondes, ces deux désespérances rivées au même désir d’enfant, de parentalité, Thierry Werts pose une vraie question de société, voire de responsabilité sociétale, avec en filigrane un débat éthique complexe qui touche aussi aux droits humains. Sans prendre aucunement la posture de l’essayiste, l’écrivain belge opte pour le portrait fort de deux mondes amenés à se côtoyer et finalement à se rapprocher autour d’une même envie, certes obsessionnelle, mais surtout profondément émouvante. Un rapprochement qui s’opèrera davantage pour le pire que pour le meilleur. Ces failles et fêlures nous sont racontées avec une grande économie de moyens dans un roman court qui fait la preuve que la longueur n’est pas indispensable pour atteindre l’intensité et la profondeur. Cette brièveté est au cœur du travail de Thierry Werts dont le premier texte, déjà, a remporté en 2013 le deuxième prix du 17e concours de haïkus du journal Mainichi au… Japon !
Michel Torrekens