Sophie VAN DER STEGEN, L’envol de Tosca, Ker, 2023,152 p., 18 € / ePub : 9,99 €, ISBN : 978-2-87586-356-0
Prix du Roman Noir de la Foire du livre de Bruxelles 2023, L’envol de Tosca fait écho à la passion de l’autrice, la Bruxelloise Sophie van der Stegen, pour l’opéra. Un monde où les femmes sont invisibilisées…
Dramaturge, Sophie van der Stegen a travaillé quelques années comme directrice de la Communication et dramaturgie à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth (fonction dont le roman se fait l’écho à travers l’une des héroïnes) avant de fonder la compagnie de théâtre musicale Artichoke dans le but d’ouvrir la musique classique à tous les publics, celui des plus jeunes en particulier. Gageons que son premier roman donnera l’envie à un public non initié de découvrir le monde de l’opéra qui sert de trame à ce livre. En effet, l’œuvre de Giacomo Puccini est l’un des fils rouges du récit à travers trois de ses œuvres phares, mais également quelques éléments biographiques évoqués, en italiques, dans des interludes. Rappelons que le compositeur italien est décédé à Bruxelles le 29 novembre 1924 et c’est précisément dans la capitale belge que se déroule l’essentiel du roman. La ville sert de décor et, en particulier, un certain Théâtre Belvédère, dans lequel on a cru reconnaître un mélange entre l’opéra de La Monnaie et le Théâtre du Parc, bien que l’autrice présente à son propos une page Wikipedia, fictive semble-t-il. L’histoire, elle, tient sur une période plutôt limitée de quatre mois et se déroule en quatre Actes, fin de l’année 2019. Une histoire d’aujourd’hui centrée autour de trois personnages féminins qui vont interagir à partir de leur passion partagée pour l’opéra.
Nous faisons d’abord connaissance avec Alina Mertens, 18 ans, et de sa mère célibataire. L’absence du père constitue un manque dans la vie de l’adolescente qui rêve de plus en plus d’indépendance. Via un job d’intérimaire, elle aboutit au Théâtre Belvédère et découvre les beautés de la musique, mais ce monde lui ouvrira-t-il ses portes et lui permettra-t-il de sortir de sa crise identitaire ? Hélène Joly, elle, y compte déjà quinze ans de carrière comme bras droit du directeur, lequel la met peu à peu sur la touche. « Elle se demande si c’est parce qu’elle est une femme qu’elle n’arrive pas à progresser. Si l’injustice était structurelle, elle se sentirait moins coupable ou moins nulle. Elle entend parler de plafond de verre, alors qu’elle a plutôt l’impression d’un toit en bêton armé, hérissé de fils barbelés, gardé par des molosses. On a beau être au XXIe siècle, très peu de maisons d’opéra sont dirigées par des femmes. Aucune en Belgique. Dans l’écrasante majorité, les metteurs en scène sont des hommes, ainsi que les chefs d’orchestre (…) À l’opéra, les femmes n’existent que pour mourir sur scène, dans un dernier chant. D’amour, si possible. Pour un homme, bien entendu. » À ses difficultés professionnelles croissantes, s’ajoutent celles de la vie familiale : un bébé qui l’accapare et un compagnon qui s’éloigne de plus en plus d’elle. Enfin, la baronne Anita van Dornen, veuve richissime et solitaire, soutient par son mécénat l’avenir du théâtre et sa programmation autour de Puccini. Trois générations de femmes, trois univers différents, trois destinées que Sophie van der Stegen fait entrer en scène alternativement dans son roman qui tourne autour de ce qui compte vraiment : « ces carrefours qu’on rencontre dans la vie et les routes qu’on comprend par erreur. Ou par accident. »
L’intrigue, quant à elle, se cristallise autour de la disparition d’une bague, mais ne représente pas l’enjeu de la narration, celui-ci se situant davantage au croisement des destinées qui se jouent et dont les hommes se jouent dans ce chœur de femmes. En écho au titre du mémoire d’Hélène Joly, « Sacrifice de femmes ou femmes sacrifiées ? L’image de la femme forte dans l’œuvre de Giacomo Puccini à l’exemple de Tosca », Alina, Anita et Hélène vont vivre la relégation, l’invisibilité, voire les humiliations, malgré leurs dispositions très différentes. Le livre résonne principalement des airs de Tosca, mais aussi de La Bohème, Madame Butterfly ou Turandot, œuvres dans lesquelles apparaissent des personnages féminins. Selon Puccini, s’il faut en croire l’extrait d’une interview reprise dans le livre, « le corps de la femme est politique. Tosca est l’histoire d’une femme qui exige que la société de son époque entende son cri – qui est un cri artistique avant tout. Sa chute est un envol. »
Michel Torrekens
À la Foire du livre 2023
- Sophie Van der Stegen en dédicace à la Foire du livre : le 1er avril de 16h à 17h30 sur le stand 380 (Gare maritime).