Hyperl∞plume

Luc DELLISSE, Le monde visible. Les aventures du réel, Impressions nouvelles, 2023, 254 p., 20 €, ISBN : 978-2-39070-020-3

dellisse Le monde invisibleLuc Dellisse s’est fait dentellier. Ses dernières publications sont toutes des textes courts, des napperons de lettres tissées avec soin. Sa plume au fuseau et au crochet, est maniée avec une délicatesse sur laquelle repose chaque phrase comme un soyeux coussin. Pourtant, il est un écrivain non de l’alcôve mais de terrain. Le matériau de son tissu est de l’herbe foulée au corps, les traits d’une pluie fine dont il fait les nuages, un rayon de soleil errant amusément sur sa paume de voyageur, une brume légère quoique tangible modelant un filigrane dont il fait sa griffe d’auteur.

Ces choix arbitraires ont une logique : il s’agit de faire tout de suite quelque chose d’inutile, d’agréable et d’urgent et d’éprouver la minceur de la frontière entre imaginer et passer à l’acte.

Les lignes sur ses pages sont des chemins d’asphalte, de fer, de terres buissonnières prises avec un pass gratuit et valable à vie ; où la vitesse est la seule morale. Luc Dellisse tisse ainsi autant qu’il trace, orfèvre pressé de mots rythmés par la cadence des paysages traversés. Où le transport intime augmente le panorama pour le rendre plus aventureux. Où la fiction enrichit le réel d’une souhaitable et plus grande intrigue.

S’il est possible d’être un aventurier sans être un homme d’action, j’ai été cet aventurier-là.

La clarté de sa lettre génère une logique intrinsèque aux textes et offre dès lors à voir l’invisible autant que la rationalité. Tout y est aussi clair que la page est palpable, ainsi que l’encre et sa lumière noire jetées au visage du lecteur par petites gouttelettes humides qui éveillent, se moquent et rafraichissent.

Notre royaume n’est pas de ce monde, ni d’aucun autre monde. C’est dans cette absence qu’il y a quelque chose à trouver.

Luc Dellisse donne à croire au réel grâce à son indécelable imaginaire et propose ainsi de côtoyer Jean qui rit et Jean qui pleure sous le masque de Janus, dieu romain des commencements et des fins, du passage et des portes. Cette nouvelle somme de cent textes permet de les enjamber en tout désordre. Et elle fait la démonstration que sa vie d’écrivain est un regard divers, liant les lignes et entre-lignes du sensible.

Ce serait peut-être vrai si la simultanéité était effective, si nous menions nos vies multiples en pleine synergie, dans une connexion permanente entre elles. Ce n’est pas le cas.

Vérité vécue d’un auteur prolifique dont la plume semble désormais se cristalliser, devenir un diamant taillé comme un crayon : celui d’un genre propre par le syncrétisme de l’essai, de la poésie et du roman. Les trois fusionnés font son style, peut-être plus sûr, plus encré depuis qu’il est académicien, reconnu par ses pairs, certain d’être à sa place d’auteur et de pouvoir vivre pleinement son élancé statut d’écrivain voyageur ; non plus doublé d’un éternel adolescent fugitif, loin de se sentir le contemporain des siens sur Terre.

Sur orbite

Cette impression, cet instant et cette publication consacrent dès lors l’auteur en son style façon Hyperl∞p. Vers une destination dont on ne se préoccupe pas tant que ça. La peinture filée par la fenêtre du wagon, figurée par le cadre du livre ouvert, nous emporte et c’est l’objectif principal. L’espace tendu et ténu de la vitre entre fiction et réalité, transparent pour rendre le monde visible, est suspendu aux formes de libertés graves ici et là frivoles. Et elles nous somment d’en faire autant de nos vies variées.

Tito Dupret

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