Anne-Michèle HAMESSE, Le rendez-vous de l’horloge, Trace, 2023, 105 p., 16 €, ISBN : 979-1-0975-1573-7
Au bord d’un « canal tordu étroit et noir, bourré d’anguilles qui serpente tout au long d’une plaine où souffle le vent du Nord », entre Furnes et Saint-Idesbald, le long du Zwaantje, vit Mira Zabat. Au bord de ces eaux vaseuses du platteland, entourée de ses chats, sous l’escorte de ses perroquets-souris et aux aguets des bergers malinois du voisin, la « demeurée » demeure. Seule, ses oiseaux chéris comme aiguillon, elle enfourche son vélo pour arpenter les berges, dans de petites épopées météorologiques de l’âme. En quelques coups de pédale, elle rejoint un cortège de fantômes lors de la procession des Pénitents, ses morts défilent, ses disparus ressurgissent encore jusqu’à frapper à sa porte.
Moi aussi, comme les gens de mon pays, j’ai du mal à m’exprimer. Pourtant, je ne manque pas d’idées mais elles se bousculent dans ma tête je m’embrouille, alors j’écris des choses, des histoires, tout ce qui me vient, c’est comme un puzzle qui se reconstitue et je suis la seule à le comprendre.
Dans une fusion entre narrateur et personnage, dans un monologue narrativisé, Anne-Michèle Hamesse offre, avec ce petit roman publié aux éditions La Trace, la richesse du désordre, descend dans la dispersion du monde intérieur et nous embrume et déroute avec une expérience de la mise à distance du réel par ce « je », une expérience d’une inquiétante étrangeté.
Je reconnais que depuis un jour ou deux je tourne à l’envers.
Non pas dans le sens des aiguilles d’une montre, non, de l’autre côté. Peut-être avec l’espoir de remonter le temps qu’indique l’Horloge.
Un jeu d’écriture habile qui oscille entre un ancrage réaliste, une liberté d’esprit et une réelle inclination à la poésie. Une construction du sens qui s’élabore de manière à la fois anticipative et rétroactive à partir d’indices textuels que le·la lecteur·rice prélève au fil des pages. Un texte à l’ambiguïté distillée çà et là, qui désoriente avec intention, pose un pacte de lecture où le lecteur est sommé, en quelque sorte, de se faire herméneute en tentant de réaliser l’exégèse d’un récit traversé de lumière et d’ombre dont la crédibilité est perpétuellement minée par le point de vue qui l’oriente.
Le rendez-vous de l’Horloge, un voyage sous les traits d’Ensor, un temps arrêté en compagnie de Delvaux, un tableau flamand où grouillent des revenants, par touches expressionnistes ; un monde imaginaire, fantastique, enraciné dans le réel d’une vie modeste traversée par des voies délirantes. Un récit entre rêves et réalités. La peinture de Mira « la toquée », une histoire de psyché qui se soustrait à toute lecture univoque et systémique, un dénouement luminescent qui laisse subsister cette part de liberté et d’incertitude inaliénable au cœur de l’acte de lecture.
Sarah Bearelle
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