Entre concerté et spontané

Philippe MATHY, Derrière les maisons, ill. de Ramzi Ghotbaldin, L’herbe qui tremble, 2023, 120 p., 16 €, ISBN : 978-2-491462-49-9

mathy derrière les maisonsAssurément, la poésie de Philippe Mathy n’est pas de celles qui sapent les codes existants ou en instaurent de nouveaux, qu’ils soient stylistiques, thématiques, diaristes ou autres. Contrairement à maints auteurs contemporains, le poète fait confiance aux mots, à leur vertu de transparence, qu’il s’agisse de transcrire des percepts, des sensations, des rêveries, des pensées. Cette docilité langagière trouve écho dans le contenu de ses propos, totalement dénués d’amertume ou d’agressivité, férus au contraire de communion et d’harmonie… Et pourtant, ce nouveau recueil le confirme une fois de plus, la mièvrerie n’est pas au rendez-vous : on ne sait comment, Ph. Mathy réussit à faire de la douceur une force, du banal un ravissement, de la simplicité un plaidoyer. L’attitude qu’il adopte est « contemplative » à la fois par la dilection envers le monde naturel et par la dimension monacale de la quête, semblable à un exercice de méditation : tel qu’il s’y raconte, le poète vit en effet dans un isolement généralement serein, proche de l’ascétisme, à mille encablures de la société de concurrence et de consommation, comme soucieux d’un cheminement intérieur, infatigable, dont cependant la clé ultime reste à première vue non-dite.

Une trame plus discrète – sinon plus secrète –, de nature numérique, sous-tend l’ensemble du recueil. Celui-ci se décline en six « épisodes » ou « tableaux » : Printemps jardinier (21 poèmes), Sur les chemins (14), Parmi des arbres (7), Pêcheur immobile (21), Jours de canicule (14), Quelques soirs (7). Tel un diptyque, le recueil s’articule donc en deux volets tripartites à la structure identique : 7 multiplié par 3, puis par 2, puis par 1. De plus, le nombre total de poèmes s’élève à 84, soit 7 multiplié par 12. Cette organisation pointilleuse, qui contraste avec la simplicité du discours apparent, n’est pas gratuite. Les chiffres 3, 7 et 12 sont étroitement liés à divers aspects du sacré, en particulier dans les religions hébraïque et chrétienne : leur combinatoire architecturale dénote un projet proche du « guide » ou de l' »exercice » spirituel. Dans chacun des deux grands volets, le premier épisode se caractérise par le calme et la solitude (jardinage, pêche à la ligne) ; le second est un moment de perturbation, voire d’accablement (marche, éloignement, excès caniculaire) ; avec le troisième vient l’apaisement (images de l’enfance, de la femme, mélancolie du crépuscule). À la dimension spirituelle se combine, on le constate, le modèle d’une œuvre musicale en trois mouvements : moderato, andante, largo.

Sur cette armature complexe se greffent les multiples notations journalières où, au contraire, rien ne sent l’effort ; le recueil cache donc une tension presque contradictoire entre le concerté et le spontané. « Derrière les maisons » il y a les jardins et les fleurs, le chant des oiseaux, les arbres, la rivière, le ciel et les étoiles, tout un monde dont le pouvoir d’émerveillement parait sans limite. Le poète est un nouveau François d’Assise imprégné par le sentiment de recevoir un cadeau inestimable, immérité, où se révèle la valeur maternelle de la nature, laquelle donne et gratifie sans contrepartie. C’est sans conteste une démarche de type mystique qui se déploie dans les poèmes de Ph. Mathy, mais une démarche humble, à l’écoute, visant l’approche et non l’atteinte. Il y a « un appel en nous / plus grand que nous », « j’avance vers une voix / éclairée d’une autre lumière », la vie de la nature nous aide « à contredire l’inutile de nos vies ». Vouée à l’écriture, à la solitude, à la patience, aux livres, à l’intériorité, la maison du poète est plus qu’une retraite : une véritable thébaïde… Les citations littéraires amorçant chacune des six parties rendent un son similaire, complice devrait-on dire. Par contre, les peintures de Ramzi Ghotbaldin étonnent un peu : d’un impressionnisme matiériste et d’une richesse chromatique presque surchargée, elles contrastent avec la grande simplicité des textes. Visiblement, ce n’est pas l’analogie qu’ont recherchée les deux compagnons, mais le contraste, voire la complémentarité, ce qui n’amoindrit en rien la qualité de leur collaboration.

Daniel Laroche

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