Archives par étiquette : L’herbe qui tremble

Géographie de l’amour

Luc DELLISSE, Tarmacs, Herbe qui tremble, 2023, 90 p., 16 €, ISBN : 9782491462543

dellisse tarmacsL’œuvre poétique, théâtrale, les romans, les récits, les nouvelles, les essais de Luc Dellisse inscrivent la frontière au nombre de leurs motifs obsédants. Le recueil poétique Tarmacs articule son chant, son rythme et sa forme autour de la question du seuil, des frontières qui, tout à la fois, séparent et ont pour vocation d’être traversées. Les cinquante chants se jouent des frontières du temps (des jeux d’invasion, de passage entre passé et présent), des frontières de l’espace (une première partie convoque New York, la seconde partie le lieu natal), du livre en tant qu’architecture bifide, des frontières de l’amour, du désir, de la vie et de la mort. Continuer la lecture

Poèmes à horaire décalé

Un coup de cœur du Carnet

Alain DANTINNE, Chemins de nulle part, peintures de Jean Morette, L’herbe qui tremble, 2023, 110 p., 17 €, ISBN : 9782491462536

dantinne chemins de nulle partPlaisir non dissimulé de retrouver la voix toujours voyageuse et lucide du poète Alain Dantinne avec ce nouveau recueil publié à L’herbe qui tremble. Comme un prolongement aux deux précédents publiés chez le même éditeur, ces Chemins de nulle part nous ravissent en nous embarquant une fois encore dans le sillage d’une écriture poétique singulière en prise directe avec les échos d’un monde en déroute. Une actualité riche d’ailleurs pour le poète-prosateur qui publie quasi simultanément un ensemble de nouvelles chez Weyrich sous le titre Une gravure satanique. Continuer la lecture

« Cette ville, la ville, toutes les villes »

Jan BAETENS, Vacances romaines, Impressions nouvelles, 2023, 104 p., 12 € / ePub : 6,99 €, ISBN : 9782390700531
Jan BAETENS, Changer de sens, Herbe qui tremble, 2023, 66 p., 12 €, ISBN : 9782491462581

baetens vacances romaines« Écrire sur » une ville relève du défi, même si on y a fait plusieurs séjours, même si on peut prétendre la connaître comme sa poche. Dans les lettres belges, on sait depuis Bruges-la-morte qu’un paysage urbain n’est jamais que la projection de notre sensibilité du moment, des bifurcations de notre propre existence et des réminiscences associées à certains visages croisés, au déjà-vu de certains recoins… Tempo di Roma d’Alexis Curvers ajoutait au symbolisme de Georges Rodenbach une dimension palpitante et passionnelle dont l’expression restera inégalée, puisque sa Rome demeurera, éternellement, celle des années 1950. Continuer la lecture

Entre concerté et spontané

Philippe MATHY, Derrière les maisons, ill. de Ramzi Ghotbaldin, L’herbe qui tremble, 2023, 120 p., 16 €, ISBN : 978-2-491462-49-9

mathy derrière les maisonsAssurément, la poésie de Philippe Mathy n’est pas de celles qui sapent les codes existants ou en instaurent de nouveaux, qu’ils soient stylistiques, thématiques, diaristes ou autres. Contrairement à maints auteurs contemporains, le poète fait confiance aux mots, à leur vertu de transparence, qu’il s’agisse de transcrire des percepts, des sensations, des rêveries, des pensées. Cette docilité langagière trouve écho dans le contenu de ses propos, totalement dénués d’amertume ou d’agressivité, férus au contraire de communion et d’harmonie… Et pourtant, ce nouveau recueil le confirme une fois de plus, la mièvrerie n’est pas au rendez-vous : on ne sait comment, Ph. Mathy réussit à faire de la douceur une force, du banal un ravissement, de la simplicité un plaidoyer. L’attitude qu’il adopte est « contemplative » à la fois par la dilection envers le monde naturel et par la dimension monacale de la quête, semblable à un exercice de méditation : tel qu’il s’y raconte, le poète vit en effet dans un isolement généralement serein, proche de l’ascétisme, à mille encablures de la société de concurrence et de consommation, comme soucieux d’un cheminement intérieur, infatigable, dont cependant la clé ultime reste à première vue non-dite. Continuer la lecture

Laisse-moi rêver encore un peu

Un coup de cœur du Carnet

Daniel DE BRUYCKER, L’ombre et autres reflets, Herbe qui tremble, coll. « D’autre part », 2023, 142 p., 18 €, ISBN : 978-2-491462-55-0

de bruycker l'ombre et autres refletsL’Auteur est mort, se dit-il. Certains ne s’en plaindront pas, embarrassés qu’ils étaient par la survivance de cette instance investie d’une « autorité » – tout ce qui est détestable à l’époque, s’exerçât-elle sur un texte… D’autres continueront à entretenir le culte de cette figure à travers son incarnation humaine, espérant l’entrevoir, lui adresser quelques mots, voire le toucher, et ainsi manifester leur reconnaissance infinie, leur adulation.

Et les personnages, ont-ils seulement leur mot à dire quant à cette réévaluation contemporaine de l’Auteur ? Partent-ils encore en quête de leur démiurge, comme dans telle pièce bien connue de Pirandello ? Tentent-ils d’entrer encore en dialogue avec leur deus ex machina, par exemple pour lui suggérer une fusion totale (« Madame Bovary, L’assassin de Roger Ackroyd, c’est toi et c’est moi ») ? Continuer la lecture

« Un mot main / dans la main »

Véronique WAUTIER, Ton nom maintenant, Préface de Marc Dugardin, Peintures d’Alain Dulac, Herbe qui tremble, 2022, 90 p., 15 €, ISBN : 978-2-491462-42-0

wautier ton nom maintenant« parfois on écrit
et les mots ne sont pas vérifiés
ils jaillissent d’une ancienne forêt
d’une future nudité 
»

D’une simplicité désarmante, le recueil Ton nom maintenant de Véronique Wautier, publié à titre posthume, se déploie sur un nuancier bleu. Du « bleu matisse » au vague à l’âme qui s’empare du lecteur dès l’exergue (deux sublimes vers séléniens de Wautier), le recueil tient du champ chromatique et sémantique de cette couleur qui rappelle celle du ciel (« cette immense page bleue ») ou de la mer, avec sa longueur d’onde voilée. Continuer la lecture

Philippe Lekeuche : la poésie et le sacrifice

Philippe LEKEUCHE, L’épreuve, Ill. Isabelle Nouwynck, Herbe qui tremble, 2022, 94 p., 14 €, ISBN : 9782491462185

lekeuche l epreuveLa poésie est sacrifice – sacrifice pour quoi ? – nul ne le sait, mais sacrifice indubitable. L’idée surgit dès le préambule de L’épreuve de Philippe Lekeuche et traverse ses trois mouvements. Le recueil est en effet construit en forme de sonate et sa partition est rythmée par les peintures d’Isabelle Nouwynck. Au fil de ses développements, les thèmes s’introduisent, sont repris, modulés, croisés en contre-chant, mais jamais résolus. Continuer la lecture

Naître au bout du rouleau …

Fabien ABRASSART, Vers la joie, peintures de Jean DALEMANS, L’herbe qui tremble, 2022, 81 p., 15 €, ISBN : 9782491462109

abrassart vers la joieQuatre rouleaux pour une marée de mots. Quatre rouleaux-chapitres mus par les replis des vagues absentes, peut-être sur les berges de la Mer Morte, aux alentours de Qumrân et qui forment l’ossature du dernier recueil de Fabien Abrassart, Vers la joie. Poète discret et exigeant, auteur de quatre livres en 20 ans, il semble approfondir ici une réflexion entamée dans son précédent livre, Si je t’oublie, publié en 2017 chez le même éditeur. Quelle poésie, quels mots pour dire l’atrocité, pour parler après l’atroce ? Comment repousser, repenser le néant avec les mots de la tribu ? Continuer la lecture

Un tonnerre textuel

Constance CHLORE, Le mot Orage, Herbe qui tremble, 2022, 86 p., 16 €, ISBN : 978-2-491462-34-5

chlore le mot orage« UN JOUR LE MOT ORAGE S’EST DÉCHAÎNÉ »

Dans la continuité de son recueil L’air respirait comme un animal, dans lequel la fourrure de l’air enveloppait la plus exacte animalité, Constance Chlore poursuit dans Le mot Orage, à l’instar des nuages, le « dépliement d’ailes » de sa langue en louvoyant encore entre logos et phoné. Dans ce « livre-poèmes », l’infini(tésimal) tutoie le vertige et donne corps au « je » : « Ce qui s’ouvre : les champs de ma vie présente ». C’est le vivant qui est célébré, zébré d’éclairs. Continuer la lecture

Recoudre le corps du vivant…

Un coup de cœur du Carnet

Pascal LECLERCQ, Dans un pays pourtant phénoménal, dessins de Benjamin Monti, Herbe qui tremble, coll. « D’autre part », 2022, 88 p., 13 €, ISBN : 9782491462406

leclercq dans un pays pourtant phenomenalSi nous suivons avec attention, depuis plusieurs années, la production de Pascal Leclercq, c’est sans doute dans l’attente du plaisir de retrouver, à chaque nouvelle parution, une musique bien personnelle. Même s’il reste discret, l’auteur poursuit à travers ses différentes activités de traducteur, de critique, de romancier ou d’animateur de la revue Boustro une œuvre cohérente et exigeante. Avec ce dernier recueil de textes en prose, Dans un pays pourtant phénoménal, il consolide un peu plus encore son architecture intime. Depuis une quinzaine d’années déjà, l’auteur affine ses positions, creuse toujours plus profond le sillon de ses obsessions, de ses interrogations. Dans ces sept parties composées chacune de sept textes courts, l’écorce des narrateurs ne cesse de se fissurer au contact d’un monde qui court toujours plus vite. Un monde à bout de souffle et souvent burlesque mais dont l’accélération inévitable imprime sur les corps d’insignes cicatrices. Blessures indélébiles que le poète tente de recoudre vaille que vaille même s’il pressent que l’opération restera vaine. Continuer la lecture

La visibilité est bonne

Un coup de cœur du Carnet

Karel LOGIST, Tout est loin, L’herbe qui tremble, coll. « D’autre part », 2022, 120 p., 16 €, ISBN : 978-2-491462-39-0

logist tout est loinTout est loin : voilà bien une logistisation, une karellogisterie – un flou entretenu qui a du charme. Car rien n’est plus vrai et rien n’est moins faux quand le sentiment de proximité nous saisit à chaque poème, renversant le titre du recueil, malicieusement. Avec une simplicité d’apparence, Karel Logist sait comment dessiner les contours du trouble en nous rapprochant par le poème des paysages humains.

Se saisissant des mots de tous les jours, le poète esquisse ici les malentendus de l’existence. « Je ne trouverai point / de meilleurs compagnons / pour chanter mes saisons / ou dire mes chagrins », écrit-il. De fait : Continuer la lecture

Ultimation du présent

André DOMS, Anachroniques, Herbe qui tremble, 2021, 146 p., 18 €, ISBN : 978-2-491462-22-2

doms anachroniquesAnachroniques est le deuxième volet d’un diptyque, cette fois consacré au temps lorsque le premier, sorti un an plus tôt, fut spatial : Topiques pour le monde actuel. Alors, en vue de cette deuxième recension, je me suis rendu chez l’auteur à Wépion. C’était fin janvier et André Doms m’a d’emblée conduit dans son jardin pour me montrer, fier et ravi, son hamamélis en fleur ; ce qui n’arrive qu’une fois l’an en plein hiver. Ses fleurs sont autant de petits feux végétaux jaunes dont les pétales explosent en traits d’oursin depuis un noyau de velours bordeaux. Continuer la lecture

Trajectoire d’un électron libre

Luc DELLISSE, Une vie d’éclairs, Herbe qui tremble, coll. « D’autre part », 2022, 108 p., 14 €, ISBN : 9782491462253

dellisse une vie d eclairsUn professeur de scénario devrait-il mener une vie parfaitement romanesque ? Par ailleurs, le personnage de son livre devrait-il faire preuve d’un pragmatisme soigné et d’une ironie rigoureuse ? Enfin, faudrait-il que le personnage et le professeur se confondent, assujettissant le récit à un état d’oscillation chronique entre faux et usage de faux ? Que le lecteur zélé se laisse prendre à ce jeu troublant et le livre, le personnage, le professeur le conduiront comme un seul homme au gré d’un roman à deux-cent-vingt volte-face. Continuer la lecture

Contre la douleur, la couleur…

Philippe MATHY, Dans le vent pourpre, Gouaches André RUELLE, Herbe qui tremble, 2021, 116 p., 16 €, ISBN : 9-782491-462161

mathy dans le vent pourpreConstitué de sept sections, chiffre symbolique s’il en est, présent dans de nombreuses cultures, désignant l’absolu, la totalité, l’émergence d’un monde nouveau et l’union des contraires, le présent recueil de Philippe Mathy, rehaussé de gouaches sur papier du peintre André Ruelle (Charleroi, 1949), s’inscrit dans l’esthétique habituelle du poète, avec toutefois une tonalité plus noire, plus dramatique pour les poèmes écrits pendant une résidence d’écrivain à Verdun ainsi que pour ceux de Jours de cendre. Dans le vent pourpre ; Dehors, mains ouvertes ; Rive de Loire et Belle-Ile s’offrent comme des suites renouant avec une méditation sur la beauté de la nature, méditation non dénuée de gravité, sur la sensibilité et l’ouverture à l’autre, sur la fragilité de la vie mais aussi son incomparable pouvoir d’émerveillement. Des poèmes de circonstance clôturent un recueil de belle facture, avec d’incontestables réussites, comme dans ce poème dédié à la mémoire d’André Schmitz : « (…) tes poèmes brûleront encore/comme le feu bleu d’une ambulance/sans que nous sachions/si elle nous conduit à te rejoindre/ou peut-être à nous guérir/de la blessure de vivre. » Continuer la lecture

Fin des Lumières

André DOMS, Topiques pour le monde actuel, Herbe qui tremble, 2020, 146 p., 17 €, ISBN : 978-2-491462-04-8

doms topiques pour le monde actuelTopiques pour le monde actuel s’ouvre avec un visage dual en très gros plan, inquisiteur, reproduction d’une peinture de Jean Morette. Deux grands yeux ronds fixent et en regard, la première phrase d’André Doms est : Comme la neige, l’Empire est un linceul sur des grouillements qui finiront par avoir raison de lui — raison de vie, qui crève gel et croûtes. Où l’Empire est métonymie de notre société, de toutes les sociétés, dont le brouhaha corrode leurs socles jusqu’à d’inéluctables débâcles. Continuer la lecture

Sur les sentiers de soi

Un coup de cœur du Carnet

Alain DANTINNE, Amour quelque part le nom d’un fleuve, illustrations Jean Morette, Herbe qui tremble, 2020, 271 p., 17 €, ISBN 978-2-491462-00-0

dantinne amour quelque part le nom d'un fleuveÀ vivre depuis quelques mois comme des reclus, on en viendrait presque à perdre le nord et dès lors, la notion du voyage. Étourdis, désorientés, nous n’avons, comme seul horizon, que celui de la chambre autour de laquelle nous bombinons. Dans cette attente de nouveaux départs, la lecture du volume-anthologie d’Alain Dantinne, Amour quelque part le nom d’un fleuve, ravive l’espoir. Celui non seulement d’envisager reprendre la route, entonner une fois encore le chant des pistes mais plus essentiel peut-être, celui de pouvoir choisir son exil intérieur. Et c’est justement par ce titre que débute la déambulation dans l’œuvre du poète-voyageur Dantinne. Toute la tension qui anime l’écriture de l’auteur est là, présente dès ce premier recueil[1], dans le titre même du premier poème sobrement intitulé Voyage. Continuer la lecture