« U Can’t Touch This »

Un coup de cœur du Carnet

Alexis ALVAREZ, Relation, Arbre à paroles, coll. « iF », 2023, 20 p., 14 €, ISBN : 978-2-87406-735-8

alvarez relationQuasi-corollaire de tout début vu que « pour absolument tout dans la vie, marcher, respirer, boire du vin ou se faire pipi dessus, il y [a] une première et une dernière fois », elle peut enliser, empoisser, embourber, comme oxygéner, alléger, stimuler. Elle rebat en tout cas immanquablement les cartes, qui façonneront d’autres châteaux à l’architecture espagnole ou végéteront en tas informe sur une table crasseuse. La fin d’une relation, et plus particulièrement d’une relation amoureuse, c’est notre lot à (presque) tous, un jour ou l’autre. Si l’expérience s’envisage comme banalement commune avec une distance poético-cynique, moins fréquents sont ceux qui la ressentent comme telle à l’instant T et à tous les autres qui suivront et s’accumuleront le temps de… Quelle que soit sa configuration singulière, elle déplace toujours nos lignes intérieures.

Dans le cas du narrateur, cela s’est passé au cœur d’une nuit madrilène, peu après avoir dansé sur du MC Hammer : « Tu as hélé un taxi, j’ai voulu t’accompagner mais tu m’as repoussé d’un “écoute, ça va pas le faire.” En tant que telle, cette phrase n’a rien d’alarmant, elle pourrait avoir été prononcée pendant le déménagement d’une machine à lessiver dans une cage d’escalier un peu trop étroite. » Pourtant, Alexis prend confusément conscience qu’elle sonne le glas de son couple. Tel le navigateur Orellana dont il relate dans sa thèse la première navigation sur le fleuve Amazone, le chercheur est alors embarqué sur des flots tumultueux, dont il tente d’identifier la source et l’embouchure, sur lesquels il navigue à vue.

C’est tout le mouvement des micro-chapitres de Relation, explorer différentes étapes de la courte romance, « le nombre des souvenirs ne dépend[ant] par de la quantité de temps passé ensemble mais du degré de détail avec lequel notre esprit décompose ce temps », qu’il a partagée, ou du moins vécue, avec le maintenant absent. Espoirs hasardeux, pensées obsédantes, projections déceptives, moments bercés, illusions nourries et regrets poignants sont plaqués dans ces récits concis qui relisent la trajectoire passée et évoquent les remous actuels à l’issue inconnue. Alexis Alvarez manie une plume terriblement juste et drôle, trempée dans une encre de pathos contrôlé, de sincérité nue et de contemporanéité assumée. Relation, c’est donc l’histoire d’un homme qui a aimé un autre homme et qui a traversé une période de « dévie » quand ce dernier s’en est allé. Une histoire de désamour tragiquement belle et ordinaire, pulsée par une narration exceptionnelle, qui résonnera en (presque) tous.

Samia Hammami

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