« Juste une illusion… »

Véronique BIEFNOT, Certaines ombres rêvent, M.E.O., 2023, 164 p., 17 € / ePub : 10,99 €, ISBN : 978-2-8070-0377-4

biefnot certaines ombres rêventL’impatience et la révolte de l’une s’opposent à la compréhension et à la résignation de l’autre. Tandis que la première cherche, la seconde accueille. Un revêtement de poils, de plumes et d’écailles d’un côté, une peau humaine tendue ou fripée de l’autre. Paroles, émotions, pulsions versus réflexions, sentiments, contrôle. Le Yin de terre et d’eau, le Yang de feu et d’air. Élie et Joely, deux âmes sœurs dont le lien abolit impérieusement les distances, les apparences, les incarnations, sont les voix à entendre dans le dernier roman de Véronique Biefnot, Certaines ombres rêvent.

Sept, tel est le chiffre symbolique marquant le nombre de renaissances d’Élie en ces pages. À chaque fois, le même processus : émerger du sommeil étrange, calmer l’angoisse poisseuse, ressentir les contours de l’enveloppe, s’habituer aux sens et aux possibilités du corps, se mettre en mouvement, être dépassé par des forces instinctives et des puissances invisibles, commettre des actes définitifs, fuir sans pour autant réussir à échapper à sa conscience, disparaître mû par une quête incertaine, « atteindre un autre état, devenir différent, devenir autre chose, autre part ». Car, même si, derrière lui, il laisse une maison soufflée par le gaz, un car rempli d’enfants dans un fossé, le cadavre disloqué d’une femme blonde et d’autres drames de mortels, il y a toujours cet « espoir timide, enfoui dans un recoin de [s]on esprit, [qui lui] affirme que oui, l’existence peut être autre chose qu’une succession de moments vains. »

Joely, elle, tel l’œil de la Providence, observe et ressent les heurs et malheurs d’Élie, sans jamais (pouvoir) intervenir, ni le guider. Elle l’attend et drape sa pâle tristesse d’une relative confiance : « Alors, pour moi aussi, les jours s’écoulaient, devenaient des années, […] toujours solitaire, nourrissant l’espoir que nous soyons réunis à nouveau ! » Face au monde et à l’absence poignante, ses moyens d’expression prennent la forme de mandalas colorés, de récits édifiants ou des chants enchanteurs. L’art comme résistance au délitement du monde, espérance d’une aube nouvelle, appel au printemps.

À travers un dialogue déhanché, Biefnot évoque un amour absolu, celui de deux âmes séparées : « Il y a tant d’années… Combien ? Où étais-je pendant ce temps si long ? J’étais quoi ? Dans quelles autres vies oubliées ou endormies ? Pourquoi avons-nous été séparés, si longtemps, encore ? Ou peut-être n’était-ce qu’un instant, le songe d’une éternité à attendre… » Les pensées d’Élie et de Joely alternent et donnent corps à leur(s) histoire(s). Avec un style clair, des paragraphes courts, des chapitres brefs, Biefnot s’inscrit à sa manière dans la tradition du conte, cet espace où l’illusion s’entremêle à la réalité, les niveaux de lecture se multiplient, le temps se suspend, « le bien et le mal sont comme le jour et la nuit, également nécessaires », et le destin a toujours le dernier mot…

Samia Hammami

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