Sophie VANDEVEUGLE, Feu le vieux monde, Denoël, 2023, 192 p., 17 €, ISBN : 978-2-207-17815-7
La chaleur est étouffante. Dans sa chambre, Silvia peine à trouver le sommeil. Étendue sur son lit, elle fixe une mouche au plafond. Elle se lève pour ouvrir les fenêtres et tenter de rendre l’air un peu plus respirable, en vain. Ce n’est pas un courant d’air frais mais un bruit inquiétant et de plus en plus fort qui pénètre la pièce puis la maison toute entière, avant de réveiller le village de Bas-les-Monts.
À une époque indéterminée, dans laquelle le lecteur reconnaîtra aisément d’effrayantes scories du présent, une guerre sans relâche fait rage. Tous les hommes du bourg ont été mobilisés pour tenter d’épargner les habitations des incendies dévastateurs. Le combat, long et pénible, semble inutile. À mesure que les jours passent, les flammes révèlent leur supériorité sur tous les êtres :
Depuis des semaines qu’elles étaient en flammes, les forêts se vidaient au galop de tous ceux qui pouvaient fuir, aussi croisait-on sur les routes des sangliers égarés, des biches dont les cœurs affolés menaçaient d’imploser, des lièvres qui couraient les rues et, avant de rencontrer un regard, se heurtaient au métal et au verre des voitures qui leur arrivaient dessus, se mêlant aux hérissons que l’instinct sauvait des flammes mais qui, en quelques générations, n’avaient pas encore acquis de méfiance envers ces mêmes routes où mouraient leurs voisins […]
Les conséquences du dérèglement climatique sont catastrophiques, chaleur et sècheresse sont désormais fatales.
Plus qu’un simple avertissement, Feu le vieux monde sonne comme un cri d’alarme en mettant en lumière ce qui est proche d’advenir.
Les moyens déployés font parfois écho à l’actualité récente. Si la mobilisation inquiète dans un premier temps, tous finissent par s’y habituer : « le temps rend tout normal, même ce qui ne saurait le devenir tout à fait », constate alors le narrateur.
La médiatisation des événements soulève des questions d’ordre moral :
Les feux brûlaient davantage que des terres, ils brûlaient un monde : les vies par milliers se changeaient en une fumée recouvrant les villes, comme pour rappeler à la multitude humaine le massacre qui avait cours là-bas, sans certitude qu’elle comprenne jamais quoi que ce soit – parmi ceux qui s’apitoyaient sur le sort des êtres qu’ils appelaient bêtes, combien se moquaient des morts moins spectaculaires, ou plus dissimulées ? Combien, à la justice, préfèrent la complaisance ? Aux yeux des hommes, il n’est souvent de victimes, de martyrs, que celles et ceux sous les projecteurs.
Aux injustices environnementales se mêlent les injustices sociales. Ainsi, l’eau manque cruellement : les agriculteurs sont obligés de puiser dans les stocks hivernaux pour nourrir leurs bêtes et les foyers sont privés d’eau courante. Pourtant, le golf est arrosé. Ce qui fera dire à un des personnages :
– Pour sûr, ils ont des dérogations pour tout et n’importe quoi, ceux-là. Du moment que ça paie, ça peut tout. Et ce n’est pas le maire qui râlera, c’est tous ses copains, sur la colline ouest. […]
Alors que tous s’épuisent et s’interrogent sur la possibilité de vaincre un jour les flammes, une réflexion plus profonde émerge dans les esprits fatigués : tant que ce monde n’a pas compris qu’il était nécessaire d’agir autrement, doit-on encore envisager de le sauver ? Ne vaut-il pas mieux faire table rase du passé ?
Avec ce premier roman, Sophie Vandeveugle choisit la dystopie pour rappeler l’urgence de respecter le vivant quel qu’il soit et dénoncer une société inégalitaire où seuls les tout-puissants peuvent finalement survivre. Par un effet grossissant de la réalité, elle précipite la disparition prochaine et nécessaire d’un monde devenu trop défaillant pour rester viable.
Laura Delaye