La vie est un jeu

Lorenzo MORELLO, Pierre papier ciseaux, M.E.O., 2023, 167 p., 17 €, ISBN : 978-2807003866

morello pierre papier ciseauxPol Newman est un jeune homme qui n’a rien de remarquable. Pas spécialement beau ou intelligent, il se contente de végéter après avoir obtenu son diplôme de secondaire. Son seul atout : il est imbattable à pierre papier ciseaux. Lorsque la nouvelle entreprise Machinbrol à Louvain-la-Neuve lui fait passer un entretien d’embauche, il est surpris par l’issue positive. Le voilà lancé dans une nouvelle aventure avec cinq autres personnes dont le point commun est de manquer d’expérience professionnelle et de mener une vie sans éclat.

L’objectif de l’entreprise Machinbrol est plus que nébuleux. Le directeur, Slupowski, prononce des beaux discours sur l’autonomie, la responsabilité et la valorisation de chacun, ainsi que la volonté de rompre avec un modèle hiérarchique qualifié d’obsolète, mais ce qui est fait dans l’entreprise, même le patron ne l’a pas encore bien compris.

En réalité, les six personnages sont à leur insu les sujets d’une expérience sociologique commandée par l’Organisation internationale du Travail menée par le sosie de Doc dans Retour vers le futur. Celui-ci cherche à étudier la gestion des responsabilités face à un inévitable échec collectif, mais aussi l’influence des comportements sexuels en entreprise. Il n’a donc pas agi par hasard en désignant cinq jeunes hommes célibataires, dont un pervers narcissique et sadique comme directeur, et une jeune femme seule caractérisée par un physique particulièrement avantageux faisant l’objet de nombreuses convoitises, ce qui représente un sujet de discorde potentiel opportun pour l’étude.

C’est ainsi que notre belle équipe de bras cassés va se lancer dans le montage de la machine FCX avec un manque d’enthousiasme assez manifeste puisqu’ils ne savent même pas comment monter ladite machine ou à quoi elle sert.

Dans Pierre papier ciseaux, Lorenzo Morello nous donne à lire une histoire désopilante dans un style fluide et direct. Sous couvert d’un humour loufoque parfois grinçant, l’auteur ne manque pas de pointer du doigt le bien-fondé de certains codes sociaux, comme le conditionnement à l’obéissance à une autorité désignée par des inconnus ou l’obligation d’être remarquable dans un domaine, quel qu’il soit, pour pouvoir donner du sens à l’existence.

Heureusement, bien que british, l’instructeur parle un français impeccable comme tous s’en rendront compte dans un instant […]
« Bonjour ! Mon nom m’appelle John Smith et nous ensemble allons studier comment l’appareil de mesure FCX avec sa agitateur à microparticules et son système du défloculation incorpored. Avant toutes les choses, j’aimerais que vous se présente. On commence avec devant, mademoiselle ?
– Albertine, répond Albertine.
– Marcel, poursuit Marcel.
– Pol, ajoute Pol avec une sobriété qui ne surprendra pas le lecteur.
– Ulysse, dit Ulysse.
– Boris, ponctue Boris. »

Un dernier point intéressant, mais non des moindres : Lorenzo Morello prend du plaisir à jouer avec le lecteur en s’adressant directement à lui, créant ainsi une complicité tendre et drôle, ce qui procure un moment agréable de lecture.

Vous l’aurez sans doute compris, Włodzimierz [Slupowski] est un personnage autocentré sur ses seules émotions, un monstre d’égoïsme incapable d’exprimer la moindre empathie, un tordu comme notre société en produit de plus en plus. […] L’auteur, par souci d’équité, va, comme il l’a fait pour les autres personnages, vous résumer le parcours du bonhomme de sorte que vous puissiez vous faire votre propre idée. Compte tenu du peu de sympathie qu’il éprouve pour cette saleté de Włodzimierz, ce résumé sera toutefois des plus succinct. L’auteur n’est pas là pour trouver des excuses à une frange de l’humanité dont il se passerait aisément.

Séverine Radoux

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