Arnaud VILLANOVA, Le chemin continue. Biographie de Georges Lambrichs, Préface de Jacques Réda, Gallimard, 2023,286 p., 21,50 € / ePub : 15,99 €, ISBN : 978-2-07-300161-0
Dans sa biographie du Belge Georges Lambrichs, Arnaud Villanova remet à l’honneur un éditeur singulier de la vie littéraire parisienne d’après-guerre, plonge dans les arcanes de plusieurs grandes maisons, révèle un métier sur lequel circulent pas mal de légendes et nous fait revivre une époque intellectuellement dense.
Si on vous demande ce qui relie les noms de Samuel Beckett et J.M.G. Le Clézio, deux Nobel de littérature, Alain Robbe-Grillet, Georges Bataille, Maurice Blanchot, Michel Butor, Michel Foucault, Georges Perros, Michel Chaillou, Jacques Réda, Gérard Macé, Jean-Marie Laclavetine, Jean-Loup Trassard, Christiane Rochefort et bien d’autres, penseriez-vous à Georges Lambrichs, Belge exilé à Paris ? Pourtant, cet homme a été le lecteur et l’éditeur de tous ces écrivains aux éditions de Minuit d’abord, aux côtés de Vercors puis de Jérôme Lindon, chez Gallimard ensuite, après un intermède chez Grasset.
Il défendait une conception très personnelle du métier d’éditeur, conception qu’il a imposée entre trois mouvements de l’après-guerre : la littérature engagée, le structuralisme et le Nouveau Roman. Pour lui, seule comptait la littérature, la découverte du texte « jamais vu, jamais lu, jamais encore imprimé », sans arrière-pensée commerciale. Il ne s’embarrassait pas de longs commentaires sur les manuscrits et se contentait souvent d’un laconique : « C’est épatant » quand il décidait d’en publier un. Il lui faudra du temps pour arriver à son idéal d’éditeur, lorsqu’il pourra créer et diriger sa propre collection chez Gallimard, « Le chemin », à laquelle le superbe titre de cette biographie, Le chemin continue, fait écho. Décédé en 1992, il n’aura pas connu la consécration d’un de ses poulains au prix Nobel, mais il n’est pas certain qu’il en aurait tiré un honneur particulier. Car cet homme a été animé depuis sa jeunesse par la passion de la lecture, du texte sortant des sentiers battus, du mot juste, en dehors de toute idéologie et école dans une époque qui n’en manquait pas.
Cette passion du texte rare a d’ailleurs pu faire de l’ombre à sa carrière et sa notoriété d’écrivain malgré les sept courts romans publiés à ses débuts chez Minuit (L’aventure achevée), ensuite chez Gallimard (Les rapports absolus, Les fines attaches, Mégéries) et enfin, Se prendre aux mots, dans la collection « Littérature » des Éditions de la Différence, cofondée par sa… nièce Colette Lambrichs. Car il était aussi homme à faire des émules. L’une de ses deux filles, Louise L. Lambrichs, est elle-même devenue romancière et essayiste réputée.
Le métier d’éditeur de Georges Lambrichs est indissociable de son activité de revuiste. Il en a créé et dirigé de nombreuses, y compris clandestines pendant la guerre, parfois éphémères, mais toujours creusets de la littérature en train de se faire. Les plus fameuses restent Les cahiers du chemin, où il a accueilli plus de cent quarante auteurs, et La NRF, de son mentor Jean Paulhan qu’il vint rencontrer à Paris à 20 ans. On découvre à cette occasion une époque où le couple revue-maison d’édition fait partie du paysage structurel du monde éditorial. Elles étaient l’occasion de lancer de nouvelles plumes, en favorisant de multiples rencontres. Georges Lambrichs aimait la compagnie des écrivains, il les réunissait dans des bistrots, des restaurants pour « Les rencontres du Chemin », puis chaque mercredi à son adresse parisienne avec sa femme et ses deux filles, où l’on discutait de littérature et des œuvres en train de s’écrire.
Arnaud Villanova, doctorant en littérature à l’Université Bordeaux Montaigne, et son éditeur ont eu la bonne idée de conclure leur ouvrage par des annexes, dont un entretien entre une fille et la femme de Georges Lambrichs et surtout une longue interview de Lambrichs lui-même, publiée juste après sa mort, qui nous permet de revivre son aventure éditoriale à travers ses propres mots.
Michel Torrekens