« Ainsi va le monde autour de nous »

Jacques CHARLIER, Mot à mot, La pierre d’alun, coll. « La petite pierre », 2023, 64 p., 15 €, ISBN : 978-2-87429-132-6

charlier mot a motLe mouvement du monde « toujours à notre insu / malgré notre refus », la lourdeur d’une salle d’attente avec « cette porte idiote / qui ne s’ouvre pas », les voyages oniriques « probablement des restes de vies / qui viennent d’ailleurs », l’attitude d’un saint-thomas enthousiasmé chaque matin devant sa fenêtre, l’évolution intime du langage et les réajustements nécessaires face au réel, le refus des regrets complaisants alors que « chaque vague, chaque souffle du vent est unique », les fuites assumées qui permettent d’échapper ou d’éviter, la petite musique intérieure de nos corps « dans le calme de la nuit », l’étrangeté de l’autre que l’on pense pourtant connaître, le déclin de la beauté « avec le temps, ça se gâte », la peau comme « seul vêtement que malgré tout on habille », une respiration profonde en cadeau fugitif, le monde « qui est ainsi fait » et déjà dit, les bris d’amour et les « mots à mots », les larmes de pluie régénératrices et le vent « qui lentement soulèv[e] les robes du temps », l’heure juste des départs et l’altération inéluctable de tout, le solide lien invisible entre les choses « à la base, intimement liées… / dès le départ… / irrémédiablement », la question des faux vrais-semblants et les vrais faux-semblants, le laid rassurant et le beau énervant… Ce sont quelques aspects de l’existence, pensés et illustrés par Jacques Charlier dans Mot à mot.

L’artiste, inlassable chercheur de formes d’expression, échappe aux catégorisations. Comme le précise Sergio Bonati dans sa préface, « [s]a stratégie de l’identité multiple et indéfinie, son choix du média en fonction de ce qui lui passe par la tête, ne sont pas là pour aider ». Cette vitalité du malgré et de l’encore, et cette liberté totale transparaissent aussi dans ses textes courts, chacun mis en regard d’une illustration colorée sur laquelle semble poché un mot blanc. Dans ses proses poétiques, Charlier évoque le temps qui passe et ne reviendra plus, qui vide et disperse. Il s’arrête aussi sur la beauté (trop rare) et la laideur (trop présente). Il envisage également les corps, leurs bruits, leurs retouches, leur recouvrement (il se réjouit au passage de la cambrure d’un mollet et s’agace de la manie des tatouages). Il encre sa plume dans la réjouissance de la vie et ombre ses mots par la présence de la mort. Ses peintures, quant à elles, se remplissent de motifs aux tons non éclatants et s’accordent parfaitement aux écrits qu’elles accompagnent. C’est ainsi que Mot à mot ravira les esprits sensibles au monde qui va autour de nous.

Samia Hammami