À pas feutrés

Natalie DAVID-WEILL, L’atelier d‘écriture, Stock, 2023, 264 p., 20,50 € / ePub : 14,99 €, ISBN : 978-2-234-09531-1

david weill l atelier d ecritureL’héroïne du roman, Esther, est une jeune femme qui traverse une transition délicate dans sa vie. Professeure de français convertie en cuisinière dans un restaurant, elle se sent dans une impasse depuis sa rupture avec son compagnon avec qui elle travaillait. Elle se retrouve désormais seule et sans travail dans un état de vulnérabilité où il lui est difficile de rebondir et d’identifier ses désirs pour l’avenir.

Elle accepte de se rendre à un atelier d’écriture sous les conseils insistants de son amie Niki, plus par lassitude que par conviction. Lorsqu’elle franchit la porte de l’atelier et découvre l’animateur ainsi que les participants avec une réserve mâtinée de crainte, elle prend conscience de l’ampleur de son manque de confiance et de sa peur de la rencontre causés par sa blessure.

Ce qui m’étonnait, moi, c’était la promptitude avec laquelle les participants de l’atelier se précipitaient pour écrire, quel que soit le thème proposé. Comment pouvaient-ils avoir l’idée de l’intrigue, construire un texte et le rédiger en une demi-heure ? Le plus extraordinaire, c’était que le résultat s’avérait en général assez bon.

Passé le moment de vertige face à un groupe déjà constitué qui se jette gaiement dans l’écriture dès que la consigne est donnée, Esther entre à nouveau en contact avec de vieux amis : les grands auteurs et leurs mots. Leurs mots dans leurs histoires, qui ouvrent le monde des possibles. Leurs mots sur la vie et l’écriture également. Elle sort alors peu à peu de sa réserve pour discuter à bâtons rompus des extraits évoqués qui l’ont touchée, émue, interpelée. Fascinée par la part de soi des écrivains dans leurs textes, elle tente d’appréhender l’intimité de l’autre dans ses écrits protégés par l’étiquette de la fiction.

Dans cet atelier d’écriture, il n’est pas question de réussir à écrire, mais d’explorer, se divertir, hésiter, se laisser surprendre. Les mots aident Esther à sortir de son état de figement pour entrer en contact avec son rapport à la lecture puis à l’écriture. Écrire lui révèle dans la foulée son rapport au monde, tantôt pour l’appréhender, tantôt pour s’en protéger, et c’est ce qui va peu à peu la ramener sur le chemin de la vie. Elle retrouve ainsi le goût de vivre en cherchant à répondre à LA grande question des personnes qui écrivent : pourquoi écrire ?

J’étais sensible à ce que Blanchot disait de la « solitude essentielle ». Il évoquait les pouvoirs de la langue, la puissance du silence, le temps distendu où la matière de la vie prend de l’épaisseur. Il parlait de la concentration propre à l’écriture qui vous fait perdre vos repères et vivre une autre temporalité, celle de la rédaction d’un écrit, qui ne passe pas ou passe si vite qu’on ne s’en aperçoit même pas. J’avais connu cet état de suspension, addictif, auquel j’avais renoncé. 

Dans L’atelier d’écriture, Natalie David-Weill nous donne à lire dans un style simple une histoire qui sert avant tout à mettre en avant le plaisir de la lecture et de l’écriture grâce aux nombreux extraits de grands auteurs qui jalonnent le récit (de Paul Auster à Marguerite Duras, en passant par Stephen King ou Haruki Murakami, et j’en passe).

D’après André Comte-Sponville, nous sommes séparés du réel par les mots, qui nous servent à le dire. Dans ce roman c’est le contraire : les mots servent de trait d’union à l’héroïne pour entrer à nouveau en lien avec le réel et s’immerger dedans. Qu’ils soient simples, vulgaires, rares, désuets ou littéraires, les mots ne laissent personne indifférent. Nous avons un bel exemple de leur pouvoir protéiforme dans L’atelier d’écriture.

Séverine Radoux