Ils ne savent pas ce qu’ils font…

Marie-Thérèse BODART, Le monde éclatera demain, Samsa, Coll. « Théâtre », 2023, 96 p., 12 €, ISBN : 978-2-87593-452-9

bodart le monde éclatera demainL’actualité éditoriale et littéraire de ce printemps fait bien les choses : la pièce de théâtre de Marie-Thérèse Bodart Le monde éclatera demain vient d’être éditée chez Samsa et un ouvrage constitué de plusieurs contributions littéraires et critiques à propos de la tribu Bodart-Richter a paru en ce début juin aux éditions des Archives et Musée de la littérature dans la collection « Archives du futur », sous-titré Entre écologie et poésie.

Quel ADN littéraire et poétique contribuait à ce que cette tribu soit si active tant dans la littérature que dans la matière des questions d’éthique ? Marie-Thérèse Bodart (1909-1981) était romancière, dramaturge, et critique. Elle a été l’épouse du poète Roger Bodart, mère de l’écrivaine Anne Richter et grand-mère de l’autrice Florence Richter. Que de liens, de complicité, d’héritages de talent et d’ouverture dans cette planète Bodart-Richter !

Le monde éclatera demain connut le succès en 1953 lors de sa création au Théâtre royal du Parc à Bruxelles et Marie-Thérèse Bodart n’a cessé, comme essayiste, romancière, critique et dramaturge d’interroger son époque et l’avenir sur l’expérience tragique de la deuxième guerre mondiale et ses conséquences éthiques, scientifiques, humaines…

Marie-Thérèse Bodart n’est pas une écrivaine des dystopies faciles, non, elle s’intéresse beaucoup plus à des questions qui touchent à ce qu’on pourrait qualifier d’exploration des cerveaux à la recherche des âmes. Elle connaît, comme intellectuelle en alerte à l’époque de la guerre froide, les possibilités offertes par les neurosciences et autres manipulations et le grand projet de transhumanisme qui ne cesse aujourd’hui de se développer.

La trame de sa pièce nous évoque un cinéma et une littérature tout entiers marqués par la collusion entre la science, la politique totalitaire et le rêve d’un Homme Nouveau, augmenté, surréel, prométhéen… Le Dr Ambroise Daumier est-il un savant fou ? Ses recherches médicales le mènent en Bavière ( !) en 1936 où il tente de concilier les effets des ondes sonores et de la mescaline sur le comportement humain.  Le meilleur des mondes est tout proche et déjà l’autrice connaît le désir vertigineux des hommes en cette matière de  totalitarisme dans le monde divisé de l’après-bombe où « on conçoit le chercheur comme un découvreur soutenu par l’État: un simple technicien, et ces gens-là prendront le pas sur nous dans l’avenir »…

Une séquence entre Anne, qui s’est offerte aux expériences du Docteur, et Ambroise en dit long sur la cécité volontaire de ce type de chercheur…

Ambroise – Voilà donc brossé notre tableau. Dans d’autres pays, la science bat son plein. Les journaux le hurlent à grands coups de gueule. Est-ce vrai ? Je ne sais pas. Je n’y ai pas été voir. Et bien, j’y vais. Qu’est-ce que je risque ? Je suis un homme fini ici. (Anne est accablée) Si je ne m’occupe pas de politique, ils n’auront aucune raison de me retenir prisonnier là-bas. Et si ça ne marche pas, on verra.
Anne – Je ne vous ai jamais vu ainsi.
Ambroise – C’est que j’en ai assez de vivre en faux col empesé et sur la pointe des pieds. La comédie m’a été un peu carcan pendant un demi-siècle et elle ne m’a servi à rien.

La pièce est vive et magnifiquement charpentée, petite et grande histoire se croisent sans cesse. Cette question de l’autre siècle, les limites de l’humain et du vivant intelligent, est devenue une des affaires centrales de ce 21e en accélération permanente, ce qui avive encore ce sentiment de grande proximité avec les propos, la langue et la conscience de Marie-Thérèse Bodart, une grande éclaireuse de son temps.

Daniel Simon

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