François Weyergans in Quarto

François WEYERGANS, Romans, préface de Frédéric Beigbeder, Gallimard, coll. « Quarto », 2023, 1357 p., 34 €, ISBN : 978-2-07-289176-2

weyergans romansDécédé en 2019, François Weyergans nous a laissé une œuvre littéraire qui s’est étalée sur plus d’un demi-siècle et il a bénéficié de nombreux signes de reconnaissance symbolique : élu membre de l’Académie française en 2009, il a accumulé les distinctions littéraires dont entre autres le prix Goncourt, le prix Renaudot et notre prix Rossel. Il nous a donné 14 romans dont 7 font l’objet d’une réédition groupée dans un fort volume de la collection « Quarto » qui, comme à l’accoutumée, offre également une mise en perspective de l’œuvre de l’auteur.

Le panorama s’ouvre sur Le pitre (1973) qui occupe à lui seul plus d’un tiers du recueil. L’auteur y campe le personnage d’Éric Wein, dont il ne fait nul mystère qu’il y a mis beaucoup de lui-même. Le jeune homme habite Paris, consulte un psychanalyste, ce qui est bien dans l’air du temps, et il nous rend compte des consultations nombreuses au cours desquelles il est invité à préciser ses pensées et à les consigner par écrit. Éric Wein nous fait état de son agacement face à cet homme qu’il nomme Le Grand Vizir, qui se fait payer cher, lui pose des questions dérangeantes et incongrues, mais dont il honore scrupuleusement les rendez-vous. Avec lui, il évoque  son obsession des femmes, son irrépressible envie de les séduire, et il nous narre la manière dont le thérapeute interfère dans sa vie et le conduit à exacerber ses penchants dans une confession qui tourne en farce.

Macaire le copte (1981), qui lui a valu le Prix Rossel, nous conduit dans le désert au début de notre ère dans les traces d’un homme qui veut intégrer une communauté religieuse et que l’on soumet à des épreuves qui défient le bon sens. Écarté, il pratique une vie solitaire faite de privations et de mortifications jusqu’à l’anéantissement.

La vie d’un bébé (1986) est sans doute le roman le plus étonnant du recueil en ce qu’il adopte le point de vue d’un fœtus que l’auteur érige en narrateur unique depuis sa conception jusqu’aux moments qui précèdent sa naissance. Observateur fin et insoupçonné de l’espèce humaine, il rend compte avec un aplomb certain de sa vision des choses.

Je suis écrivain (1989) nous rend Éric Wein et son destin d’écrivain depuis les bancs de l’école jusqu’à ses démêlés avec ses personnages, ce qui lui donne l’occasion de nous parler de son contact fabuleux avec la culture japonaise au cours d’un voyage dont il a pensé ne pas revenir.

La démence du boxeur (1992) narre les tribulations d’un cinéaste peinant à finaliser un film, qui s’interroge sur lui-même, revient sur son passé, s’intéresse à mille choses, comme le fera le protagoniste dans Le radeau de la méduse, non repris dans ce volume.

Avec Franz et François (1997) et Trois jours chez ma mère (2005), François Weyergans s’autorise à écrire à visage découvert et ses propos prennent une dimension plus intimiste, puisant sans réserve dans ses souvenirs d’enfance. Il évoque son éducation catholique dans la famille Weyergraf, pieuse et aimante, le poids de la figure de son père, écrivain lui aussi et traducteur, mais aussi critique de cinéma et moraliste, dont il a toujours entendu crépiter la machine à écrire, qui était connu et apprécié, et qui en faisait vivre sa famille.  

À le lire, on est impressionné par la fluidité et l’élégance de l’écriture de François Weyergans, mais aussi par la constance et l’homogénéité de son œuvre. Quel que soit l’objet de ses récits, son phrasé s’impose avec une aisance et une justesse qui lui valent de ne pas avoir pris une ride. Fin observateur, curieux de tout et partageant son érudition, il est de ces conteurs que l’on écoute sans s’en lasser, et son humour souvent ironique qu’il se prescrit en premier, ravit l’esprit lorsqu’il succombe à la procrastination, écrit la nuit et dort le jour, fuyant la compagnie de ses semblables. Régulièrement, il n’hésite pas à franchir les limites du roman classique, multipliant les points de vue, déboulant comme auteur dans le récit, pratiquant la digression, feignant d’oublier où conduit le chemin pour mieux y revenir. Ne faisant nul secret de ses obsessions, il explore son passé et son inconscient et leurs interactions incessantes avec son travail de création.

C’est d’ailleurs le grand mérite de ce recueil de s’intéresser tout autant à l’œuvre du cinéaste qu’à celle de l’écrivain, même s’il abandonna l’image pour l’écrit une fois le succès rencontré par ses livres.  François Weyergans a laissé derrière lui plusieurs films, dont ceux qu’il a consacrés à Maurice Béjart, mais aussi des écrits sur le cinéma, dont les premiers remontent à 1956, alors qu’il avait 15 ans à peine et qu’il suivait son père dans les séances de projection qu’il animait. Une sélection de textes est rassemblée dans « Weyergans et le cinéma ». On y voit poindre une subtilité et une liberté de ton qui ne le quitteront jamais. Une section « Vie et œuvre illustrée », qui s’intéresse elle aussi à l’ensemble de sa production artistique, a été préparée par Danielle Bordes, Basile Richefort et Métilde Weyergans, sa fille. Bref, de quoi munir le lecteur de tout le nécessaire pour embrasser l’œuvre d’un auteur hors normes, suscitant l’envie de le (re)découvrir. Le recueil s’ouvre sur une préface qui porte la signature de Frédéric Beigbeder. Ce dernier salue avec enthousiasme l’auteur franco-belge (nous dirons belgo-français) soulignant ce qu’il perçoit comme le ressort premier de son œuvre :

Le problème des enfants éduqués par le catéchisme est un problème de colonne vertébrale. On leur a enseigné un sens, puis on les en a privés.  Qu’y a-t-il de pire ? La vie a perdu sa signification de départ. La religion est un ordre, comment se sent un être en désordre ? À partir de 1989, les livres de Weyergans ne parleront plus d’autre chose. Ils sont une quête de non-sens, des scolioses ontologiques, les errances d’un homme privé de son GPS mystique. 

Et de conclure, en des termes que nous ferons nôtres, que cette réédition groupée, « C’est son Panthéon, sous couverture souple ».

Thierry Detienne

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