Eva KAVIAN, La clé de Jacqueline, Oskar, 2023, 52 p., 7,95 €, ISBN : 979-1-0214-0808-1
Marcus, huit ans, est un enfant unique qui vit avec ses parents. Sa solitude est rompue grâce à l’arrivée de Dog dans la famille, un chiot que le papa a renversé par inadvertance avec sa voiture et qui a été soigné et adopté par les parents, faute d’identification possible des propriétaires.
Un jour, les parents de Marcus annoncent à leur fils qu’ils vont déménager dans un logement plus petit afin d’économiser et de développer une start’up. L’annonce est faite alors que la maison est déjà vendue, Marcus le vit difficilement car il ne souhaitait pas déménager. Quitter sa grande chambre et la sécurité du foyer qu’il connaît depuis toujours est effectivement une déchirure pour lui.
Les parents de Marcus sont pétris de bonnes intentions : on sent que les crises récentes ont suscité en eux une profonde remise en question de leurs comportements de consommateurs et leurs changements de vie témoignent d’une attitude anticapitaliste et écoresponsable. C’est dans cette lignée qu’ils décident d’aller vivre dans un appartement au deuxième étage sans ascenseur, mais ils ne se rendent pas compte du bouleversement et de l’incompréhension qu’ils suscitent chez leur fils en le tenant à l’écart de leurs décisions et du déménagement.
Sur la lancée, mes parents ont revendu leur deuxième voiture. On a acheté trois vélos et trois abonnements aux transports en commun. Maman se sentait légère. Libérée. Papa se sentait en accord avec lui-même. Je ne comprenais franchement rien à ce qui arrivait à ma famille.
Comme tout enfant habité par une problématique inconfortable, Marcus va manifester de façon répétée son trouble en allant visiter quotidiennement son foyer perdu avec Dog grâce à la clé de Jacqueline, l’ancienne femme d’ouvrage. Il suit alors les travaux effectués dans la maison qui effacent peu à peu les dernières traces de sa vie d’avant et observe avec douleur la nouvelle famille qui s’y installe.
À chaque fois, quand nous trouvions quelque chose sur le trottoir, j’avais l’impression que c’était moi qui partais en morceaux, que j’allais finir en miettes. Qu’on se débarrasserait de moi dans un conteneur avant de balancer de vieux volets rouges sur mon corps d’enfant.
Dans La clé de Jacqueline, Eva Kavian nous donne à lire dans un style délicat et sensible un récit court destiné à des lecteurs à partir de neuf ans qui retrace les étapes d’un deuil fondateur pour un enfant. Nous palpons toute l’ambivalence de la personne endeuillée qui sait au fond d’elle que c’est fini, mais qui ne peut s’empêcher d’espérer un retour en arrière. Grâce à la présence précieuse de Dog, Marcus ne se sent pas seul au monde face à cette épreuve, ce qui nous rappelle la grande sensibilité des enfants et la relation thérapeutique forte qui peut se tisser entre un être humain vulnérable et un animal. Marcus vit son deuil à son rythme sans se forcer et son histoire est jalonnée de petits cailloux, autant de symboles d’un rituel de séparation qui n’appartient qu’à lui. Et parfois, au gré des méandres du chemin, un caillou se fait diamant et offre une perspective emplie de promesses…
Séverine Radoux