Afrique exigeante

Catherine GODEFROID, Couleur savane, après la pluie, Murmure des soirs, 2023, 305 p., 22 € / ePub : 14,99 €, ISBN : 978-2-9312-3506-5

godefroid couleur savane apres la pluieNous sommes en juin 2007. Lucie, une jeune botaniste spécialisée en écologie tropicale, se prépare pour une mission au parc national de l’Omo en Éthiopie, où elle sera chargée de cartographier la végétation en associant des relevés de terrain et une analyse d’images satellites.

Lorsqu’elle arrive au quartier général du parc, elle découvre les infrastructures rudimentaires, les normes de sécurité, mais également les spécialistes de tous horizons avec qui elle travaillera durant deux mois. Chacun est venu dans ce paysage reculé avec son expérience, sa culture et ses objectifs ; et entre une infirmière, un zoologiste, un géographe, un ranger et un chef d’équipe, il y a de quoi partager à bâtons rompus des points de vue variés sur les enjeux du parc.

Quand Lucie commence à effectuer ses relevés avec Tesfahun, un collègue quelque peu froid et distant de prime abord, nous découvrons à travers son regard la richesse de la biodiversité du parc, mais aussi la complexité qu’il recèle : recouvrant une surface équivalant à celle de la province de Liège, il est habité par huit groupes ethniques qui peuvent s’opposer violemment, plusieurs espèces végétales et animales menacées, il est également parcouru d’habitats dégradés. À cela il faut ajouter la chasse qui perturbe l’équilibre des écosystèmes et l’indifférence des communautés face à la disparition de la faune et la flore ; faute d’accès aux soins de santé rudimentaires, elles sont en effet uniquement préoccupées par leur survie. N’oublions pas non plus les décisions gouvernementales et internationales qui se soucient peu de protéger les tribus oubliées. Nous avons ainsi un bref aperçu de la complexité de la situation qui caractérise cette zone protégée.

Un jour, lors d’une exploration en duo, Tesfahun est gravement blessé par un buffle qui écrase en outre sa seule arme. Avec un téléphone satellite en panne, Lucie est forcée de soigner son collaborateur avec des pansements improvisés. Malgré ses efforts, Tesfahun décède des suites de ses blessures, Lucie est alors obligée de suivre la piste vers Mui pour survivre dans cette savane où la pluie, les animaux et les blessures constituent des menaces réelles. Dans sa longue marche à travers la brousse, elle est accablée par l’épuisement, la tristesse, la peur, la solitude et elle est poussée dans ses retranchements les plus profonds en étant à la merci des éléments.

Il y avait bien là une jeune femme traumatisée, blessée, épuisée, qui, affalée au milieu des flaques de boue de la piste, se tenait le visage entre les mains. Un être incapable d’encaisser des chocs supplémentaires, incapable de raisonner, de réagir ou même d’espérer de l’aide. Lucie […] devenue indifférente au corps meurtri, s’était réfugiée tout au fond de son crâne, dans des replis cachés où plus rien ne pourrait l’atteindre.

Dans ce premier roman, Catherine Godefroid nous livre avec un style soigné une histoire particulièrement réaliste puisqu’elle a travaillé au parc national de l’Omo en tant qu’ingénieure. Son expérience nous permet de palper la richesse de la biodiversité et la complexité de la gestion d’une zone protégée si l’on tient compte des enjeux pour chaque partie engagée.

La première partie du roman est davantage consacrée à la description minutieuse de la biodiversité du parc et du travail de Lucie sur le terrain. L’épreuve qu’elle traverse suite à l’accident fait monter la tension dramatique et apporte de la profondeur à l’enjeu de l’héroïne. L’aventure devient initiatique pour la jeune femme, qui en sortira avec un regard neuf et une détermination nouvelle.

Il lui semblait commencer seulement, au bout de plusieurs mois, à appréhender la rude réalité de cette partie du monde. Elle avait dû laisser de côté les théories académiques qu’on lui avait apprises. Oublier les documentaires animaliers. Renoncer à certaines de ses convictions. Discuter longuement avec ses collègues. Entendre le rire de Nakioto. Il lui avait fallu tenir un mourant dans les bras. Presque y laisser la vie elle-même. Rencontrer ces gens, aux mœurs si différentes, mais aux besoins essentiels semblables aux siens. La brousse, ce n’était ni le paradis ni l’enfer. Elle renfermait bien plus que ces deux facettes antagonistes : des milliers de vies, des milliers de risques se télescopaient à tout instant.

Couleur savane, après la pluie offre une belle ode à l’Afrique, sa richesse et ses contrastes.

Séverine Radoux