Florence RICHTER, Rose étrange au Mont des Arts, Samsa, 2023, 114 p., 18 €, ISBN : 9782875934642
« Le roman comporte trois parties qui se répondent : d’abord deux fictions, l’autobiographie d’un végétal rosier marin, entrecoupée de commentaires d’une mammifère, une ratte. La troisième partie relève de la réalité la plus concrète ; il s’agit d’extraits du Journal intime, inédit à ce jour, de ma grand-mère, la romancière Marie-Thérèse Bodart […] » Tel est l’incipit de Rose étrange au Mont des Arts, dans la « note (nécessaire) de l’autrice ». Florence Richter l’annonce d’emblée : son récit explorera différents points de vue, chacun clairement annoncé à chaque début de chapitre. Si l’existence de la fleur et celle de la rongeuse se croisent, celle de Thérèse s’inscrit en petites notes choisies émanant d’un passé révolu. Car, au moment où se déroule l’histoire contée, l’humanité a disparu, depuis longtemps, en 2054 exactement, et la nature a repris ses droits sur la Terre en général et le Mont des Arts en particulier.
« Cœur en flammé, j’ai le cœur enflammé, je crève de solitude, je couine, gronde, farfouille et trotte partout. » Barbue-la-Ratte est l’incarnation d’une énergie nerveuse et alerte. Dans ce nouveau monde, elle cherche à calmer ses instincts, à se protéger, à explorer les possibilités de l’environnement. Elle apprécie aussi la nourriture de l’esprit qu’elle absorbe à travers les livres de la bibliothèque qui, en dehors des murs de l’antre en délabrement, finissent leur vie dans un décor inattendu. Critique et sélective, elle ne se retient pas d’émettre des opinions tranchées sur les humains à présent évanouis. Rose-rosier-marin, quant à elle, se sent profondément reliée à ce qui l’entoure et ne regrette en rien l’absence des hommes : « […] ils ont tous disparu… pour le bonheur des bactéries mes sœurs, des algues mes sœurs, des lichens mes frères, des éponges, des vers, des insectes rampants et volants, des fougères… Tout ce qui se meut autour de moi-rosier-marin. » Rose est pourvue d’une âme délicate, réceptive, lyrique, et sait faire preuve de résistance et d’abnégation, surtout lorsqu’il s’agit de prendre soin des autres. Thérèse, qui se découvre par petites bribes, tient des deux : passionnée et enthousiaste, elle avance avec fierté et détermination tout au long d’une existence où l’amour de Roger, de la Littérature, de la Nature se nourrissent et se renforcent, comme dans cette douce évocation : « Pendant que j’écris ces lignes, il y a une radieuse lumière d’été dans le salon. Les primevères et les pensées rouges, jaunes et bleues brillent à la fenêtre. Roger m’a apporté les premiers lilas. »
Dans ce triple récit, Richter décrit un univers postapocalyptique en se focalisant sur ce lieu emblématique de la capitale bruxelloise. Imaginer la disparition des archives des institutions culturelles tout en exhumant celles, personnelles, de sa grand-mère se révèle une approche curieuse et intéressante. Rose étrange au Mont des Arts plaira aux âmes contemporaines traversées à la fois par la nostalgie, le fatalisme et l’espoir.
Samia Hammami