Un pas, puis l’autre

Olivier SPINEWINE (texte) et Lisa SIBILLAT (image), Comment encore marcher?, Lustre, 2023, 50 p., 20 €

spinewine comment encore marcherEn couverture, il y a d’abord cet homme, semblant chausser ses jambes auxquelles ses mains s’agrippent fermement ; elles ressemblent à des cuissardes se terminant en orteils, capables d’avaler sept lieues en une foulée. Une certaine perplexité marque son visage, pourtant sans trait. Et le titre de l’ouvrage de résonner : Comment encore marcher ? Puis, au fil du recueil, d’autres figures, elles aussi en silhouette, elles aussi en noir et blanc, questionnent le mouvement. Certaines s’étirent ou se recroquevillent, d’autres s’agitent dans une danse inconnue, quelques-unes se contorsionnent. Et beaucoup s’agrippent ou tiennent : des chevilles, des jambes, des chaussures-pieds (évoquant Le modèle rouge magrittien). L’équilibre se cherche, à tâtons, dans la chute et l’immobilisme. Ces êtres de lithographie, issus de l’imagination et du savoir-faire de Lisa Sibillat, touchent par leur empêchement, leur inconfort, leur gaucherie aussi parfois.

Le texte d’Olivier Spinewine ne fait qu’accentuer l’impression laissée par les illustrations. Par petites touches poétiques, il interroge à son tour la difficulté de se tenir debout, de se mouvoir, d’avancer : « Mais les genoux tremblent. / Le pied pousse pour s’appuyer. / Ça tremble. / Ça tombe. / Ou ça va tomber. / Le pied appuie sur, / Pas sûr, / L’autre / Sûr que tu trembles. » Malgré cette stabilité précaire, éphémère, on continue à faire bonne figure, à donner le change, jusqu’au baisser du rideau : « Tu es chez toi, ils tombent. » Et tout recommencera le lendemain, où il nous faudra réenfiler ces bottes, nous, Poucet·te. Dans cette course follement imposée, on trébuche plus que de raison, on se vautre même, on enfile des souliers de travail et des escarpins selon le rôle à jouer, on se contorsionne et se désarticule : « Avec ton harnais, malgré toi / tu chorégraphies un cliquetis. / Chaque pas te désaxe le bassin. Étant entendu que ni tibia, ni péroné, / ni fémur ne plient plus au genou : tu es droit·e sur tes tiges. » Et l’inconfort demeure, la chair et l’esprit se blessent, les solutions sont de celles du désespoir, de l’orgueil ou de la résignation : « Il faut bien, / Dès lors, / Encore, / Regarder le paysage / et formuler des tautologies. »

Comment encore marcher ? est un espace de lectures et d’interprétations. Sont-ce différentes histoires ou un seul narratif ? Des scénarios décousus ou des pensées-patchworks ? Des personnages de papier ou vous et moi ? C’est en tout cas une réflexion personnelle et inclusive, qui convainc en claudiquant, qui surprend à tout moment.

Samia Hammami