Paradoxes de l’asile

Un coup de cœur du Carnet

David BESSCHOPS, Asile d’un seul, Dancot-Pinchart, 2023, 62 p., 14 €, ISBN : 978-2-9602796-3-4

besschops asile d'un seulVous m’offrez les murs
Or l’immanence est dans votre camp 

Après son implacable opus Faut-il que tout meure pour que rien ne s’achève ? (publié en 2022 aux éditions L’Âne qui butine), David Besschops emmène à nouveau son lecteur dans les contrées du vacillement, à travers son nouveau recueil : Asile d’un seul.

Titre bouleversant s’il en est, quasi paradoxal, faisant de la solitude le lieu même de l’épars, du divers, du peuplé : l’asile, lieu relevant à la fois du domaine de la psychiatrie comme celui du refuge inviolable. Au fil des pages, la langue de Besschops court-circuitera toute volonté de glose à propos de ce titre, fera basculer le lecteur vers la première acception du terme. Quoique… cet opus deviendra le refuge de tous les récalcitrants, de tous les inapprivoisés – toujours intrinsèquement seuls, même si :

L’insalubrité mentale est un village
Vous y retrouverez la plupart des gens que vous connaissez 

Deux parties composent le recueil. Dans la première partie, intitulée Asile d’un seul, les textes sont eux-mêmes mus par les forces élémentaires du chaos. À ce qui nous prend insidieusement en tenailles, nous force à notre insu à la docilité – cette fameuse « machine à renforcer le réel » –, Besschops oppose une langue joueuse et rieuse (d’un rire jaune, s’entend).

Le psychisme, loin pourtant d’être un territoire lisse, devient peu à peu colonisé par les spécialistes de l’aseptisation. Toutefois, il demeure dans ce recueil comme le lieu d’où prolifèrent les pulsions, les plus à même de détruire l’argile dans laquelle nous empâtent les créanciers du soi-disant « humain ». Pour le poète, il n’y a peut-être d’humain que l’affect, qui échappe à la vaste entreprise de psychiatrisation de tout et n’importe quoi faisant aujourd’hui fureur.

Où fragments de laine et d’étoffes
et trois brindilles
rembourrent mille émotions 

Placé sous l’égide de « Psychose » qui, « jouette hélas a mordillé les sens », la seconde partie, intitulée Close, évoque certainement la « folie » d’un « tu » : peut-être une mère, peut-être le lecteur. Pour ajouter du trouble au trouble, les textes (deux par page, séparés par un grand blanc typographique) se lisent tout aussi bien de haut en bas sur une même page que de gauche à droite sur deux pages, parachevant l’épreuve de la lecture de cet opus, le portant au compte des meilleurs recueils de l’auteur.

Aux épouvantails de la « normalité » – celle dont nous voudrions parfois nous affubler dans nos moments d’ambivalence – la langue de Besschops se fait aiguillon et crève sauvagement les cases dans lesquels l’être est capitonné. Cela ne va pas sans risque. Mais ce risque, propre à chacun et n’appartenant qu’à lui seul, est parfois revigorant – aussi revigorant que l’est ce recueil.

Charline Lambert

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