Un coup de cœur du Carnet
David BESSCHOPS, Faut-il que tout meure pour que rien ne s’achève ?, L’Âne qui butine, coll. « Troglodyte », 2022, 11 €
« On ne comprend pas quel drame j’ai prétendu ouïr. »
À contre-courant d’une littérature contemporaine perpétuellement en fête et de ses parades menées tambour battant avec force pétarades, le travail de David Besschops s’impose comme l’un des plus intransigeants de notre époque. Aux recueils Trou commun (2010), Avec un orgasme sur la tête en guise de bonnet d’âne (2017) ou Placenta (2018) vient s’ajouter ce petit opus, Faut-il que tout meure pour que rien ne s’achève ?, publié aux éditions L’Âne qui butine. Peu (re)connus, les ouvrages de Besschops, depuis son premier recueil Carmen (2006), sont de ceux qu’on se passe sous le manteau ou qu’on acquiert comme des livres de collection. Ainsi, sans doute, de certains des plus grands livres ou des plus grands écrivains : peu de paillettes, peu de médailles mais un halo feutré et pérenne.
Puisque « l’indicible s’est lassé de m’articuler physiquement », puisqu’il a bien fallu prendre forme et s’insérer quelque part dans le réseau des échanges humains, l’écriture de Besschops se place, comme en contrepoint, sur le spectre de l’incommunicabilité. Au départ d’une émotion musicale/sonore et court-circuitant, à chaque phrase, les traditionnelles oppositions entre « dire » et « se taire », entre la « parole » et le « silence », Besschops densifie l’ambivalence, l’épreuve et la physique de la langue. Celle-ci, d’abord sans égard envers elle-même, sabote les ruades de la communication obligatoire, le parasitage inintelligible et permanent d’ « une époque infréquentable ».
Dédié « au silence / ce noyé familier et consentant », ce recueil emmène son lecteur sur les territoires d’une langue indomesticable, à l’instar des paysages sauvages ou hostiles qui doivent aux températures extrêmes leur préservation. Peu d’êtres sont assez téméraires pour s’y mouiller, aucun n’oserait songer à les coloniser. Dans Faut-il que tout meure pour rien ne s’achève ?, la langue de Besschops évite donc, tout naturellement, l’écueil de fournir des panneaux de signalisation.
À l’image du titre de cet opus, les phrases sont riches, implacablement et presque mathématiquement calculées. L’écrivain tient son écriture en équilibre : une phrase semble amender la précédente, se donner en rature à la suivante ; le moindre paragraphe réunit à lui seul cette querelle. Séquelles d’une certaine insatisfaction qui n’est, chez Besschops, que l’exact envers de l’exigence.
« De quelle absence de scrupules le silence est-il fait, qui considère que même la mort est matière pour se créer ? » La « mort », climax de l’immobilité, apparaît aussi comme le terreau des devenirs. Plus le lecteur creuse la lecture de ce bref opus, plus il dessille ses propres assises. Il est bouleversé. Il prend alors le risque du commentaire, donc celui de s’ajouter au parasitage ambiant. Mais il se rappelle les terres où il était encore possible de se déployer. Ce n’est pas la moindre des forces de ce livre dans lequel pointe la « nostalgie » : avant d’apporter une réponse définitive, Faut-il que tout meure pour que rien ne s’achève ? appelle surtout à déserter.
Charline Lambert