Les poètes n’ont pas toujours raison

François WEERTS, On a tiré sur Aragon, Rouergue, 2025, 448 p., 23 € / ePub : 16,99 €, ISBN : 9782812626463

weerts on a tiré sur aragonLouis Aragon est sur la butte du lion de Waterloo, il médite en portant le regard sur le paysage chargé d’histoire. Alors qu’il redescend l’escalier sans fin, une détonation retentit et une balle siffle à ses oreilles. Les camarades belges et français qui l’attendent près de leurs véhicules se précipitent et le mettent à l’abri. L’affaire pourrait faire grand bruit, ce qui mettrait tout le monde dans l’embarras. Mais l’envie de connaitre le fin mot de la tentative d’attentat est forte. D’autant qu’un commando féminin investit dans la foulée les salons bruxellois de la tour Martini en scandant des slogans qui mettent en question le grand homme de lettres. Viktor Rousseau, détective privé, est chargé par le Parti communiste belge de mener une enquête discrète. La même demande lui est faite par le secrétaire perpétuel de l’Académie de langue et de littérature française de Belgique.

Nous sommes en mai 1965, la Seconde guerre mondiale a laissé des traces dans les esprits, les tensions sont tenaces entre résistants et collaborateurs, les règlements de comptes sont fréquents et le parti communiste n’en est pas épargné. Notre homme aura fort à faire pour identifier le tireur et les causes de son acte tout en maintenant la police à distance. Il fait jouer son réseau relationnel pour investir les milieux littéraires et multiplier les approches. Au fil de ses recherches, nous déambulons dans le Bruxelles d’alors qui a entamé sa mue vers la modernité en rasant ses vieux quartiers que les promoteurs hérissent de tours surplombant de vastes terre-pleins balayés par les vents. À la suite du détective, qui a un fort penchant pour la bouteille et les plaisirs de la vie nocturne, nous passons de bistrots en réceptions mondaines, notamment en haut de la tour Martini où son amante, la délicieuse Marie-Claire, règne en maitre et reçoit des célébrités de la chanson française. À sa suite encore, nous faisons une incursion nocturne dans le dédale du Palais de Justice pour substituer des archives d’un tribunal militaire. Au gré de ses recherches, Viktor Rousseau lèvera des secrets compromettants, y compris dans les milieux littéraires et parmi des proches qui avaient sa confiance. Le tout en 15 jours (du 2 au 17 mai), et 52 chapitres. Et Aragon dans tout cela ? Le détective aura le plaisir de le croiser brièvement à Paris alors qu’il est venu lui reconduire sa Facel Vega (qui se souvient de cette marque automobile française prestigieuse gérée par le frère de Pierre Daninos ?) restée en Belgique. Le temps de souligner la prestance et l’élégante gentillesse de l’homme de lettres.

Avec On a tiré sur Aragon, François Weerts prend un plaisir non dissimulé et un rien nostalgique à rendre vie à la seconde moitié du 20e siècle et à la Belgique d’alors. Après avoir mis en scène des décennies plus récentes, il a planté sa plume dans les années 1960 dont il restitue l’ambiance avec brio : guerre froide, musique, voitures, début de la libération sexuelle, essor économique, tout nous est rendu avec une vivacité réjouissante servie par son évidente érudition. Il mêle sans crier gare personnages fictifs et réels dans des épisodes rondement menés et, surtout, il donne libre cours à son amour de la langue française associant mots rares et argot, dans un style toujours soutenu et fleuri.

Thierry Detienne

Plus d’information

  • On a tiré sur Aragon : une vidéo des éditions du Rouergue
  • Un extrait d’On a tiré sur Aragon