Le réel par la parole

Autour de nous, ça parle partout et tout le temps, jusqu’à nous assourdir. Ne nous parvient souvent qu’un brouhaha. Une confusion. On n’entend rien. On reste en surface. On rate l’être intime, politique et social. Pour entendre à nouveau, des documentaristes de l’image, du son et de la scène ont pris l’habitude de livrer la parole telle qu’elle est vivante. Porteuse d’altérité. Plus récemment, des auteurs et des autrices se sont lancé·es dans ce qu’il est devenu commun d’appeler l’écriture du réel.

Parmi elles et eux, certain·es ont entrepris, à partir des mots d’autrui, des textes à la croisée de la littérature, de la fiction, du réel et du document. Dans le cadre de la littérature belge contemporaine, Nicole Malinconi a été une pionnière. En 1985, elle a écrit avec les mots entendus et notés dans le cadre de son travail d’assistante sociale, Hôpital silence, son premier livre. Aujourd’hui, Dominique Costermans et Caroline Larmarche travaillent, chacune à leur façon, à donner une autre écoute aux grandes souffrances du monde contemporain : le travail, les inondations de 2021, la pandémie du Covid, l’IVG. Entre autres.

 Dominique Costermans : Créer l’intime et le politique à partir de la parole

dominique costermans

Dominique Costermans

Autrice de fiction (nouvelles et roman) et de publications didactiques, Dominique Costermans s’est lancée dans des travaux d’un autre genre, un genre hybride, entre enquête sociologique et littérature. Elle s’y emploie avec la curiosité de la journaliste et les techniques de l’écrivaine. Nous l’avons rencontrée lors d’un entretien en visioconférence, que nous avons transcrit, travaillé, coupé, monté, en enlevant les questions, en ajoutant des intertitres. 

Au commencement

Journaliste, j’ai un ADN qui implique une curiosité au monde qui ne m’a jamais quittée. Pour mon roman Outre-Mère je souhaitais enquêter sur les enfants juifs de la troisième génération car je ne trouvais rien de consistant sur ce sujet. J’ai pensé qu’il fallait m’équiper d’outils d’écoute et de restitution respectueux pour que mon écoute ne soit pas biaisée par mes propres projections, mes émotions. J’ai alors suivi un séminaire de Marichela Vargas sur les récits de vie, à destination des travailleurs sociaux surtout. Lors d’une séance qui portait sur les entretiens dans le cadre de travaux sur le parcours de vie, les origines, le sujet du prénom a été donné comme idée de départ, avec une question : Pourquoi vos parents vous ont-ils donné ce prénom ? Je me souviens d’être sortie de ce cours avec l’envie d’arrêter des gens dans la rue pour les interroger. J’ai décidé d’en faire un livre. Pour ce faire, j’ai élaboré une méthodologie afin de ne pas être débordée par la foison d’informations que j’allais solliciter et recevoir. J’ai travaillé avec une lettre de l’alphabet par semaine et envoyé la question aux gens de mon fichier d’adresses. J’ai pris comme parti de n’interroger que celles et ceux avec qui j’avais été en relation. Je voulais un fil personnel et intime. Mon objectif inavoué était peut-être de nouer un contact intime avec des gens que j’avais croisé dans ma vie. Comme je l’explique dans l’ouvrage, l’échantillon n’est pas représentatif, il ressemble à une constellation personnelle. Le livre peut fonctionner comme une clinique, relative et subjective, du rapport à son prénom.

La collecte de la parole

Pour Le bureau des secrets professionnels écrit avec Régine Vandamme, nous avons rencontré les gens par toutes sortes de canaux : réseaux sociaux, mails, presse, la Foire du livre, sociétés d’intérim… Nous avons aussi organisé des ateliers d’écriture et sélectionné quelques histoires sur internet. Nous avons demandé l’autorisation aux auteurs de reprendre leur histoire telle quelle, et parfois de les réécrire. Même lorsque la parole avait une origine écrite, j’ai l’impression d’avoir noué un lien intime avec chacun.e des confidents et des confidentes. Quant à L’impensé de l’IVG, pour le concevoir, je n’ai utilisé que la technique de l’entretien. On sortait du Covid, il était important de me replonger dans quelque chose non seulement d’engagé, de militant, mais également qui permettait la rencontre. Pour ce sujet tellement délicat, je n’imaginais pas enquêter par téléphone ou par mail. Cela a conditionné mon échantillon. Si rencontrer des gens était une motivation, je savais aussi que des choses allaient se passer pendant les entretiens : des silences, des larmes, des hésitations dans la construction du sens, ces choses-là allaient m’échapper si je ne n’étais pas en présence des personnes.

Le calibrage

costermans vandamme le bureau des secrets professionnels 2La plupart des témoignages sont très courts, d’autres sont plus développés. L’histoire racontée conditionne la place, le ton qu’on lui laisse. Le bureau des secrets professionnels est probablement le plus littéraire de ces livres. Il est inspiré par Je pensais que mon père était Dieu et autres récits de Paul Auster. Celui-ci animait une émission de radio où il demandait aux auditeurs de lui raconter des histoires un peu magiques. À travers elles et son travail d’écriture, il a dressé un portrait de l’Amérique. Avec Régine, nous voulions tenter une mise en littérature pour donner à lire de véritables nouvelles. Nous avons beaucoup travaillé la technique du texte court. L’histoire conditionnait la forme. Nous avons négocié avec nos interlocuteurs chaque fois que l’histoire avait à gagner de se centrer sur un événement, avec un incipit, une bascule et une chute.

Le pacte

Avec chaque confident, confidente, je noue un pacte qui varie en fonction du projet. Il pourrait se résumer à la confiance mutuelle. Je demande aux personnes de me confier un morceau de leur vie en leur expliquant que je vais en faire une histoire que je publierai dans un cadre précis. En retour, je leur promets d’être respectueuse de la confidence qu’elles m’ont donnée et d’observer les limites posées (anonymat, secret professionnel…). Je donne un droit de regard et demande l’accord avant la publication, un accord que j’honore. Pour L’impensé de l’IVG, j’ai été jusqu’à proposer un droit de rétractation qui courait jusqu’au moment de la mise en page.

Sur les deux cents récits que nous avions retenus pour Le bureau des secrets professionnels, nous avons dû négocier quatre ou cinq fois parce que des gens tenaient à une partie de l’histoire qui pourtant en déforçait le cœur, tenaient à des mots plutôt qu’à d’autres. Je suis très fière qu’avec Régine nous ayons réussi à garder le cap du respect et de la co-construction des récits.

La confiance en soi

La confiance se construit. Je suis assez confiante et en même temps, au fur et à mesure des livres, j’avance dans la prise de risques. Quand je suis entrée dans le travail sur l’IVG, un doute me tenait : serais-je capable d’accueillir le trauma ? J’avais peur que mes propres biais ne freinent la compréhension ou l’accueil du regret, par exemple. J’ai fait très attention au vocabulaire que j’employais, aux silences que je laissais, à la négociation du texte, quitte à faire beaucoup d’allers-retours avec les confidentes.

La construction du livre

Les entretiens de L’impensé de l’IVG figurent dans l’ordre de leur mise en œuvre. Je les ai réalisés en trois mois. Ma pensée a progressé pendant ce temps. Je suis sortie de la première rencontre bouleversée, quasiment choquée. Je ne savais plus si je pourrais mener à bien le projet. J’ai construit la technique au fur et à mesure. Mon questionnaire était assez lâche, assez ouvert, centré sur l’émotion, le contexte, l’histoire de cet événement.

Le bureau des secrets professionnels a été composé différemment. Nous avons organisé les histoires par territoire de métiers – Soigner, Aider, Le commerce… –, tout en suivant une progression : on commence par les premières fois pour terminer par la retraite et la question du sens du travail… Les chapitres peuvent cependant être lus indépendamment les uns des autres. Ce choix d’organisation a impliqué que nous repêchions des histoires parce qu’elles manquaient au récit global et que nous en éliminions certaines devenues redondantes. La construction a ainsi déterminé, en partie, le choix des histoires

Comment je m’appelle. Porter un prénom : du déterminisme à la liberté (Édition Academia, 2016)
L’impensé de l’IVG. Douze femmes – Douze expériences singulières – Douze récits sans jugement (Éditions Courteslignes, 2022)
Avec Régine Vandamme : Le bureau des secrets professionnels, Histoires vécues au travail. 2 tomes (Renaissance du livre, 2020 & 2021)
Coordination : Après le déluge. Wavre, chroniques de l’inondation de juillet 2021 (Éditions Academia, 2022)

Caroline Lamarche : Travaux communautaires

Caroline Lamarche

Caroline Lamarche

Le travail littéraire de Caroline Lamarche peut prendre des chemins divers, toujours sensibles, personnels. Outre les nouvelles, les poèmes, les romans, les écrits d’art, les textes pour la scène et les ondes, elle a entrepris un travail documentaire. Si le récit L’Asturienne est basé sur des archives familiales et industrielles, Traces, Zoonose et Toujours l’eau se nourrissent de la collecte de témoignages. « Plus qu’un dérivatif au travail solitaire de l’écrivain, nous a-t-elle confié, ces expériences sont nées d’une nécessité : celle de m’immerger activement dans un monde bouleversé et de tenter de répondre aux défis immenses de notre époque de la seule manière qui soit à ma portée : en mettant mon outil – l’écriture – au service d’autrui. » Nous l’avons interrogée en visioconférence. Avant même que nous ayons transcrit l’entretien, parce qu’elle pensait ne pas avoir été claire, elle l’a écrit, au plus près de ce qu’elle avait dit. Nous avons dû couper quelques passages pour rester dans le calibrage de l’article. Nous avons ajouté les intertitres. Le titre est d’elle.

La collecte

Le principe de collecte des témoignages est le même pour ces projets : un carnet, un bic, une écriture rapide, qui se fie à mon « oreille d’écrivain », soit la capacité de repérer rapidement les expressions les plus fortes, les plus imagées, les plus précises, voire de les susciter par une certaine écoute, qui prend aussi en compte, de manière subliminale, l’expression du visage, du corps, le ton de la voix. Avec une curiosité pour l’humain, pour le vivant plutôt, et une confiance, moins en ma capacité de récolte ou de mise en forme (du moins au départ, quand l’expérience était nouvelle pour moi), que dans « ce qui peut se passer » entre deux êtres, l’un se confiant, l’autre écoutant. Ne pas penser au « résultat », mais être pleinement dans l’instant, dans la relation, accepter même l’idée que cela puisse ne déboucher sur « rien », en tout cas respecter la personne, laisser ce moment se développer de manière organique et simple : c’est « son » moment, le moment où sa voix, en temps normal inaudible, peut sortir et trouver quelqu’un qui la porte plus loin.

Le cadre

Je n’arrive jamais avec une grille de questions, je préfère être une présence en creux, qui se contente de questions très simples comme : comment est-ce arrivé ? Qu’est-ce qui était le plus dur ? Depuis combien de temps travaillez-vous ou vivez-vous ici ? Etc. Plus la question est ouverte et simple, plus la personne peut se déployer.

De manière générale, un cadre doit être posé, il ne s’agit pas d’arriver en « questionneur sauvage » sur un terrain fragile et largement inconnu. Dans le cas du travail dans les hôpitaux en temps de Covid, des rendez-vous étaient pris par l’équipe de communication de l’hôpital. Pour l’hôpital Tivoli à la Louvière et le travail « Zoonose » avec le photographe Cédric Gerbehaye, j’étais en « immersion » (j’avais la blouse de l’hôpital, je rencontrais les personnes sur le lieu de leur travail, dans un bureau calme de préférence). Lorsque la pandémie rendait compliquée la présence même à l’hôpital (pour le travail Traces avec les hôpitaux du groupe Iris Sud et le photographe Gaël Turine), l’équipe de communication récoltait elle-même les témoignages écrits ou enregistrés et me les communiquait, ce qui est moins énergivore mais moins évident, car je perds le contact physique et d’écoute directe. Ceci dit la délicatesse des personnes sur place a amené des témoignages très forts.

lamarche deprez toujours l'eauPour Toujours l’eau (titre emprunté à l’un des témoignages), la photographe Françoise Deprez et moi téléphonions aux personnes avant de les rencontrer. Au début, les premiers noms avaient été suggérés par un médecin local, une connaissance (tout le monde connaissait des « sinistrés ») et puis le bouche-à-oreille fonctionnait, on nous demandait de venir. Le premier qui m’a alerté, c’est Christian Libens, qui avait tout perdu dans sa maison natale au bord de la Vesdre, y compris cinquante ans de collection de manuscrits autographes d’écrivains qu’il s’apprêtait à confier aux Archives & Musée de la Littérature. Comme la plupart des gens, il était moins affecté par les pertes matérielles que par la disparition de l’immatériel : lettres personnelles, photos, archives, souvenirs. Pour ce projet, nous sommes parties sans ordre de mission ni financement, en bénévoles, comme tant de gens. Simplement au lieu de venir avec des pelles, des raclettes et des seaux ou du ravitaillement, de l’électroménager, nous avons apporté nos « outils » : appareil photo pour Françoise, carnet pour moi.

Entrer chez les gens, dans leur intérieur dévasté, suppose une confiance mutuelle, une acceptation de la part des personnes du « cadre » que nous posions en leur téléphonant au préalable : un entretien et quelques photos pour « garder des traces » de ce qu’elles et ils avaient vécu, en vue d’un livre qui « dure », et si possible d’une exposition.

Le financement

Pour tout cela il a fallu trouver des « sponsors », j’avais donc écrit une sorte de note d’intention que j’ai adressée à quelques personnes essentiellement issues du milieu associatif et capables de nous aider à financer un livre, ainsi qu’au Théâtre de Liège avec qui j’avais déjà travaillé pour un diaporama pour Traces. C’est Françoise qui a sollicité l’éditeur Pascal Schyns (éditions du Caïd) et le livre s’est fait en étroite collaboration à trois. Le but étant d’avoir, moyennant nos « sponsors » et notre bénévolat total, un beau livre à un prix très abordable, avec des exemplaires gratuits pour nos « témoins » – environ 120 personnes ou familles.

La « gratuité » pour les témoins est un principe qui a été appliqué aussi pour le travail dans les hôpitaux : tous les travailleurs, qu’ils aient été interrogés ou pas, ont reçu personnellement un exemplaire. Et nous avons veillé aussi à une forme d’anonymat : seul le prénom apparaît, parfois la fonction (dans le cadre des hôpitaux) ou le lieu (nous citons les communes visitées dans Toujours l’eau).   

Le montage

Mon travail au départ de toutes mes pages de notes consistait, chaque soir après une journée de travail, à retranscrire tout sur mon ordinateur. Lorsque j’ai eu toute la matière, j’ai passé des semaines à m’en imprégner, à souligner certains passages, et finalement à réaliser un montage de manière à ce que chacun.e de nos « témoins » ait une « parole », plus ou moins longue, mais frappante, et qu’il m’est revenu ensuite de disposer de manière à ce que la lecture en soit à la fois aisée et addictive – une fois commencée, on la poursuit sans arrêter – , en alternant les émotions, les couleurs de témoignages, en quelques sorte. Dans le cas du travail dans les hôpitaux, pas mal de récits se recoupaient car on a affaire à une communauté structurée et solidaire dans le combat très organisé contre l’ennemi extérieur, comme une « armée du soin ». Dans le cas des suites des inondations, les expériences étaient plus individuelles et plus diverses, plus dramatiques, « hors cadre » et souvent hors assistance institutionnelle, dans un chaos complet – une catastrophe très ponctuelle mais dont les effets ont brisé des vies entières pour longtemps.

Les circonstances

Je dirais donc que si le « cadre » que j’ai mis en place pour la récolte des témoignages, avec ou sans l’aide d’intermédiaires, est comparable dans les trois expériences, les circonstances étaient très différentes entre le drame du Covid et celui des inondations.

Il a différé aussi selon le lien particulier avec chaque photographe, notre manière de collaborer. Chaque tempérament, chaque lieu, amène une manière de travailler un peu différente, même si nos outils respectifs restent les mêmes. En tout cas, je n’imagine pas une autre approche que « collective » pour aborder ces drames. Il faut être capable de travailler étroitement en équipe. Au départ du binôme constitué par le/la photographe et « l’écrivain » (je ne sais si le terme s’applique ici, je dis plus volontiers que j’ai « monté » les témoignages, et je souligne que ce sont « leurs mots ») se crée une nébuleuse de sympathie et d’aides au projet. Cela aide à « tenir » face à une réalité éprouvante et délicate à documenter. Dans tous les cas, ce qui aide le plus, c’est le courage des personnes. « Il n’y a pas une histoire plus terrible que l’autre, elles le sont toutes, et on est tous courageux ». Cette simple phrase récoltée à Trooz résume à elle seule mon ressenti par rapport aux dix mois que nous avons passé dans les vallées dévastées. Elle pourrait s’appliquer aussi à ce que j’ai perçu du courage des soignants.

Traces. Photographies de Gaël Turine (Luc Pire éditions, 2021)
Zoonose. Photographies de Cédric Gerbehaye (Éditions Le bec en l’air, 2022)
Toujours l’eau. Juillet 2021. Photographies de Françoise Deprez (Éditions du Caïd, 2022) 

Nicole Malinconi. Écrire à partir de la vie des gens et de leurs mots

nicole malinconi

Nicole Malinconi

Ce que nous aurions pu rédiger là, sur les mots entendus qui ont nourri son œuvre, qu’elle a notés puis écrits pour qu’ils ne tombent pas dans l’oubli, Nicole Malinconi l’a déjà dit plusieurs fois, de façon même et (légèrement) différente. Comment elle a commencé à écrire avec la parole des autres, et comment elle a continué pareillement dans le reste de son œuvre, notamment dans Nous deux, le livre de la mère, dans Da Solo, le livre du père, dans Vous vous appelez Michelle Martin, le livre de la quête des mots à jamais non dits. Jusque dans De fer et de verre où elle a inventé des paroles d’ouvriers tellement justes qu’on pourrait penser qu’elles ont réellement été prononcées. Plutôt que dire moins bien ce qu’elle a déjà écrit précisément, nous avons repris quelques extraits de livres où elle revient sur sa pratique. Nous les avons montés ensemble.

malinconi hopital silence

[…] Hôpital silence a été à mon insu, une sorte de prototype car tous les textes suivants ont été inspirés par ce que l’on pourrait nommer des scènes de la vie, des moments, même fugitifs, de l’existence, des ambiances ordinaires où des choses se passent sans qu’on y prenne garde, des détails parlants, des mots maladroits, oubliés, cachés, ravalés. C’est ce que je nomme l’écriture du réel. (Le mot ne dit pas tout, Éditions Esperluète, 2023)

Quand je travaillais à l’hôpital… ce n’était pas le regard… c’était entendre. (Le mot ne dit pas tout)

Les mots qui me touchaient et que j’ai retenus à l’hôpital étaient comme escamotés par l’hôpital, pas entendus. Les infirmières pratiquaient des avortements sur des femmes avec les seuls mots de la technique médicale. (Que dire de l’écriture ?, Lansman Éditeur, 2014)

Cette histoire de nous deux ma mère et moi, je l’avais écrite, après sa mort, bien des années avant d’aller chez le psychanalyste. Au moment même, je ne savais pas pourquoi j’écrivais cela ; c’était une nécessité ; cela me venait à partir de ses mots, de son parler. (Le mot ne dit pas tout)

Pour Da Solo, j’ai noté des tournures de phrases de mon père. Au retour des visites que je lui rendais, je m’arrêtais à quelques kilomètres de sa maison, et dans la voiture, je prenais des notes. À cette époque où nous parlions beaucoup, il racontait des choses sur l’Italie, sur son enfance, la guerre. Sa manière de raconter me touchait. Je notais ses tournures de phrases à l’italienne, sa manière un peu maladroite de parler le français. Dans le livre, j’ai essayé de faire parler la musique de sa langue. (« En pays d’enfance. Entretien avec Nicole Malinconi », Textyles nº55.)

Les mots de ce livre, nous les avons d’abord dits, vous et moi, au cours de nos entretiens. Vous aviez fait appel à moi dans l’idée encore vague d’écrire. Je suis allée vers vous sans savoir ce qu’il adviendrait de notre rencontre, pensant juste que la seule raison d’écrire, en ce qui me concernait, serait vos mots, disant l’horreur que vous aviez laissée advenir, tâchant de dire comment il avait été possible que cela advienne. Nous avons parlé en confiance. Après la première rencontre, d’autres ont suivi, chaque mois, pendant plus d’un an. (Vous vous appelez Michelle Martin, Denoël, 2008).

Michel Zumkir


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°215 (2023)