Dominique COSTERMANS, L’impensé de l’IVG, Courteslignes, coll. « Narrations », 2022, 18 € / ePub : 12 €, ISBN : 9782960309706
Une situation d’appel, une secousse, des pourcentages mais « [d]errière ces chiffres cependant, pas de chair, pas de vécu, pas d’histoire, guère de contexte ». Une question de départ donne alors corps à cet Impensé de l’IVG : « Qui sont ces femmes qui avortent ? » ou, à plus forte mesure, « que disent les femmes quand elles peuvent parler de leur IVG ? »
L’on assiste alors à l’éclosion de la parole de Garance, Marguerite, Églantine, Lilas, Flora, Capucine, Iris, Rose, Daphné, Violette, Anémone et Jasmine. Douze récits d’expérience d’interruption volontaire de grossesse, d’histoires vécues glanées et cueillies, sans effluve débordant, par Dominique Costermans.
« Ces femmes qui ne disaient rien, je suis allée à leur rencontre avec mon micro de journaliste et ma plume d’écrivaine ». La nouvelliste n’est pas à son coup d’essai dans le domaine de l’écriture de l’intime mais elle précise désormais son verbe dans le genre de la « non-fiction », l’irrigue de témoignages dont elle extrait l’essence qui laisse un effet de condensation. Une littérature de « restitution de l’intime » qui s’inscrit dans le sillage de son Comment je M’appelle. Porter un prénom, du déterminisme à la liberté et de son Bureau des secrets professionnels écrit en collaboration avec Régine Vandamme. Son nouveau livre, elle le publie chez Courteslignes, une toute récente maison d’édition « dédiée aux questionnements contemporains », sous la houlette de Jehanne Sosson.
L’ouvrage donne la parole à douze femmes, des voix nuancées sur l’IVG, des histoires singulières aux retentissements propres à chacune d’elles. Lilas confie qu’elle « ne garde ni douleur, ni tristesse. Plutôt une nostalgie ». Pour Iris, « Ce n’est pas douloureux, mais ça reste… un possible qui n’a pas été actualisé ». Daphné affirme qu’il s’agit d’ « une expérience radicalement impartageable ». Jasmine y pose ces mots :
J’aurais bien aimé en parler à ma mère, et j’aurais bien aimé garder cet enfant… si je n’étais pas issue de cette famille-là, je l’aurais gardé. Si j’avais été issue d’une famille européenne, je n’aurais pas eu autant… (ses mots restent en suspens). J’ai eu trois enfants, mais dans mon cœur, j’en ai eu cinq.
Des histoires personnelles, essentielles, de recours à l’IVG à travers le temps : la première l’a fait dans les années septante, la dernière assez récemment. Des expériences desquelles affleure l’histoire de ce droit dont la fragilité est mise en lumière dans un chapitre conclusif, sans fioriture, par un bref panorama de l’état de l’IVG dans le monde.
L’autrice convoque la symbolique florale pour donner voix à ces femmes. L’utilisation de fleurs dans la grande Histoire participe à la mémorialisation de conflits, rappelant tantôt l’héroïsme individuel ou collectif, tantôt la bravoure, ou la souffrance, ou encore le refus de prendre part à la bataille, le désir de paix. Ce bouquet de témoignages répand une nette certitude : l’importance de ce droit qui permet aux femmes d’avoir le choix. Un parfum politique dans ces floraisons subtiles et bienveillantes de l’intime.
Par une textualité mixte qui mise tant sur une écriture relevant d’une fonction de témoignage public que sur une écriture du sujet tirant parti de l’introspection autobiographique, Dominique Costermans sort du silence la voix des femmes et crée un lieu intimiste pour être en prise avec le monde dont fleurit une sorte de capacité plus forte d’agir sur le réel et dépasser l’impensé.
Sarah Bearelle