Marie BRUYNS, Fenêtres sur cœurs, Traverse, coll. « Lentement », 2014, 168 p., 16€
Que reste-t-il des utopies de mai 68 et de l’espoir d’un monde meilleur qui semblaient être le dû de la génération née au lendemain de la seconde guerre mondiale ? Voilà une des questions que se pose à travers ses fictions Marie Bruyns. La plupart de ces dix-sept nouvelles explorent avec humour et lucidité notre monde vu par des personnages vieillissants. Malgré son titre en clin d’œil au célèbre film d’Alfred Hitchcock, il n’y a ici aucun voyeurisme, juste des brèves d’un temps où l’amour est bancal mais le désir toujours aussi intense…
Les baby-boomers vieillissent bien. Bien sûr, les touches de leurs gsm sont trop petites pour leurs mains et les modes d’emploi du chauffe-biberon de leurs petits-enfants sont trop souvent illisibles ! Ailleurs, une mère déplore que son fils émigré au États-Unis ait perdu sa cédille et s’appelle désormais Francois… Mais ces personnages ne sont pas, loin de là, des réactionnaires. Marie Bruyns brosse dans ces courtes nouvelles des portraits, des moments de vie, des journées où tout bascule pour des gens ordinaires. À cause de la maladie, d’une rencontre, d’une indignation, d’un baiser…
Avec un ton et des dialogues réalistes qui savent combiner ironie et empathie, l’auteure dessine des héros du quotidien portés par une belle foi en l’homme. Une nouvelle exemplaire parmi d’autres est celle qui montre une étudiante sur le point de découvrir à l’école l’Art d’aimer d’Ovide, tandis qu’elle va subir un avortement à la sauvette dans la Belgique des années septante. Les fenêtres de Marie Bruyns, si elles donnent sur les cœurs, n’ignorent ni les revers du sexe ni les drames de la vieillesse. On est surpris par la panoplie des thèmes que l’auteur met en scène : le viol d’une quinquagénaire, la dépression d’un médecin, le plan cul d’une executive woman, ou encore les déambulations urbaines d’un vieux beau octogénaire…
Paru dans une collection joliment baptisée « Lentement », Fenêtres sur cœurs est une réussite qui donne envie de lire et de garder à l’œil cette pétillante gynécologue convertie à l’écriture.
Olga Kristel