Karel Logist, l’arpenteur

Karel LOGIST, 374 marches, MaelstrÖm, coll. “Bookleg” n°108, 32 p., 3 €

logistQuel poète n’est pas un flâneur ? Quel poète n’est pas un errant ? À mille pattes ou à douze pieds, il avance, il chemine, il arpente. Sa vie, c’est de long en large, c’est cahin-caha. Jamais fleuve tranquille.

Karel Logist écrit en marchant. Et inversement. Toujours les deux en même temps. Le long de la Meuse, dans quelque ruelle au pavé inégal, sur les coteaux de la Citadelle, vous le croiserez – d’ailleurs, on ne fait que croiser les poètes, on ne les connaît pas vraiment. Quand ils consentent à vous guider dans « des labyrinthes intimes », ils feignent. C’est pour vous y égarer. Pour encore mieux vous tromper à leur sujet. On ne les connaît pas, non, mais on les reconnaît bien à ce jeu-là…

On les croise donc. Mais qui oserait leur demander : « Je peux t’accompagner dans ta promenade ? » Cela ne se fait pas. D’autant qu’ils ne sont seuls qu’en apparence. Il se tient toujours un fantôme à leur gauche ou à leur droite. Ce n’est pas leur ombre. Et pas besoin, pour qualifier cette présence mystérieuse, d’aller chercher un mot du romantisme allemand, genre « Doppelgänger »… Le fantôme, c’est l’ami évident. Qui leur manque. Qui manque au monde. Mais dont le souvenir boitille à leur côté. Béquille bancale.

Même à plat, ils vont à la verticale, les poètes. Ils ont l’esprit de l’escalier. Ils en ont l’âme et le souffle en tout cas. Ainsi les muscles se font syllabes, et les mouvements rythme. On naît avec ce regard-là, cette glande-là, « la poésie », comme d’autres sont daltoniens ou ambidextres. C’est la poésie qui, soudain, vous fait remarquer que « cent oiseaux renversent le ciel ». Elle qui vous désapprend à compter « sur rien ni sur personne / ni les baisers ni les coups ». Elle qui vous convainc que, comme le sang, la vie ne fait qu’un tour. Elle qui vous dégage du temps, vous affranchit de l’espace. Par degrés. Exactement comme la marche.

« 374 marches », et Karel Logist coiffe au poteau son passé d’« enfant qui ne riait pas ». « 374 marches », et toutes les hontes sont bues. L’homme peut maintenant s’interroger, wandering, wondering, sur le début et, surtout, sur la fin. Regarder la route parcourue par-dessus l’épaule, prendre les « veuves menaces d’orage » par-dessus la jambe. Poser un pied au sol. Un autre. Le voilà libre. Et, grâce à ses mots, nous aussi. Ou plutôt « Nous avec ».