Jan BAETENS, Ce monde, Les Impressions nouvelles, 96 p., 11 €
Malgré son écriture volontairement « déprogrammée » – Jan Baetens expliquant avoir voulu prendre, dans Ce monde, quelques distances avec la littérature à contrainte dont il est coutumier – ce recueil s’avère moins évident que Le Problème du Sud (2013).
Peut-être est-ce dû à l’assemblage des parties qui le composent, d’apparence si différentes, et dont la transition est ménagée par une réflexion sur la difficulté d’écrire en résidence d’auteur – de surcroît quand la ville d’accueil est La Sérénissime. Posture ? Ce n’est pas le genre de la maison. Baetens ne fait que traduire un malaise symptomatique chez ces hôtes d’honneur, à qui une mise en condition optimale de création ne doit cependant pas être un frein à leur authenticité. Or, à se retrouver ainsi dans une cité millénaire, parcourue de fantômes littéraires et saturée de références, la gésine verbale n’en est-elle pas rendue complexe – et complexée ? L’ingéniosité consiste dès lors à se jouer de ces facteurs potentiellement inhibants et à transformer l’expérience elle-même en poésie. Baetens y parvient en gratifiant chacun de ses collègues belges à Venise d’un salut tout en tendresse acidulée, assorti de quelques vers libres. Les allusions personnelles, les private joke, extirpées de leur contexte d’émergence, en deviennent parole autonome et pure.
Évoquer d’emblée ce deuxième pan, déroutant, permet de mieux souligner l’importance du premier, occupé par Ce monde, « poème virtuellement infini, mais qui n’arrête pas de se clore […] » Plus qu’à l’esprit des lieux, c’est à l’usage du temps que veut nous familiariser Baetens, avec une rythmique portée par un souffle puissant, ponctuée d’images et d’interrogations qui creusent en profondeur l’âme du lecteur : « Comme si les choses qui restent étaient toujours pareilles / aux choses qui vivent ? ». Pas de technique d’ouvroir potentiel, certes, mais une constante formelle : « la répétition du mot monde, qui est aussi la chose monde, [et qui] sert de relance mais surtout d’avertissement : c’est une manière de lutter contre la dispersion, de revenir sur ses pas, de se retourner sans fin sur ce qui nous pousse toujours en avant. »
Entonnant un chant digne de la grande tradition épique américaine, Jan Baetens, dit « dernier poète flamand d’expression francophone », se confirme poète tout court. Ou plutôt, poète tout long…
♦ Lire un extrait de Ce monde proposé par les Impressions nouvelles