Werner LAMBERSY, Dernières nouvelles d’Ulysse. Avis de recherche, préface d’Hubert Haddad, Peintures d’Anne-Marie Vesco, Éditions Rougier V., 108 p., 18 €
Hubert Haddad le déclare dès l’entame de sa préface : « La poésie au fond ne s’éclaire que de ses propres interrogations et tout commentaire se trompe fatalement d’objet. »
Werner Lambersy fait partie de ces insatiables questionneurs. Avec une centaine de titres publiés, ce francophone d’origine anversoise fait partie des voix qui creusent leur sillon dans la persévérance d’un dire de haute lice. Son œuvre poétique, quoique marquée par la recherche de la justesse tonale et de l’harmonie rythmique, ne sacrifie guère au ludisme gratuit qui la ferait tintinnabuler à l’oreille ainsi qu’un « bibelot d’inanité sonore ». Coup de semonce et de sonde à la fois, la parole de Lambersy est sensée ; elle ouvre sur des abîmes de réflexion, se plaît à « Curer les étangs morts / Des certitudes », assume perplexité et éparpillement, tranche au bon moment, prononce l’arrêt avant de repartir, à peine reposée, vers l’horizon qu’elle s’est fixé.
C’est en compagnie d’Ulysse que nous cinglons sur la houle des « mots / qui mentent et ne mentent pas », d’un même mouvement ambigu – les seuls qui fassent réellement progresser, non ? Haddad y perçoit l’écho de Joyce plutôt que celui d’Homère ; mais n’est-ce pas son Ulysse à lui que Lambersy nous dresse en pied, mâte à ses vers, jette en pâture à l’épreuve d’un verbe océanique ? À l’en croire, « Le miroir / Ne parle qu’au miroir / D’en face » ; il s’agirait dès lors davantage d’un portrait en fractales que d’un arraisonnement à l’aède premier…
L’œil embarque, en tout cas, et voyage outre-temps. Effet du frottement lié au déplacement : la carapace virtuelle qui revêt les contemporains révèle (parfois) l’antique silhouette du héros. Lambersy invoque l’Histoire, l’Art, l’Amour, la Vérité, autant de valeurs aux majuscules frelatées, lyophilisées, en notre ère déceptive. L’odyssée vire volontiers en croisière sur l’amer. Une seule réponse, franche, permet de redresser la barre : le Poème.
Mieux qu’un recueil, ce livre est un ressac, qui ébranle, secoue, bouleverse. Chaque mot imprimé sur ses pages – bonaces aux remous contenus, prêts à jaillir – s’avère une éblouissante trouée, dont la clarté latente soulagera les las et les meurtris de l’époque. Car « L’écrit / dans l’encre sans lumières / est l’antre du signe. » L’aurions-nous compris sans qu’un poète nous le rappelle avec un tel brio ?
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