Valentina BIANCHI, Nougé et Magritte. Les objets bouleversants, Peter Lang, coll. « Documents pour l’Histoire des Francophonies / Europe », 2015, 300 p.
Les surréalistes, français ou belges, n’ont jamais lésiné sur les moyens quand il s’agissait de malmener le public dans ses habitudes et ses conventions. Chahuts, irrévérences, coups d’éclat ou de poing, pamphlets, scandales, tout cela fait partie d’un arsenal de moments forts, volontiers inventorié par les historiens de la littérature. Mais lorsqu’il s’agit d’étudier en profondeur les mécanismes réels des processus sous-jacents à la subversion des images, il ne se trouve plus grand monde…
Heureusement, il y a Valentina Bianchi, enseignante en littérature française à Bucarest, spécialiste de Beckett et de nos Lettres. Dans un essai très riche, refonte de sa thèse de doctorat, la chercheuse a réussi à circonscrire la catégorie de ces objets que Nougé qualifiait de « bouleversants » une fois isolés de leur stricte vocation utilitaire et transmués en cet absolu qu’est l’art.
Comme toute forme d’expression, les avant-gardes naissent de quelque part. Dans un premier chapitre certes un peu abrupt (le lecteur croirait à une introduction mais en fait il est plongé in medias res), Valentina Bianchi revient sur les fameux tracts émanant dès 1924 de Correspondance, et elle souligne l’importance matricielle de ce corpus multicolore, non seulement dans l’émergence d’un surréalisme spécifiquement belge, mais aussi dans l’élaboration du programme esthétique que le groupe allait développer.
Des pages particulièrement intéressantes sont consacrées tantôt à différentes techniques (« dépaysement » de l’objet, déformation, changement d’échelle), tantôt aux difficultés liées à l’exercice même de la représentation, et qui nécessitaient – en tout cas chez Magritte – d’y remédier par une solution picturale. L’on voit ainsi à quels stratagèmes recourait le peintre pour déjouer les problèmes cruciaux de la porte, de l’arbre, de la lumière, de la femme, etc. Cette partie ainsi que la suivante (sur le choix des titres des œuvres) nous permettent de pénétrer, en hôtes privilégiés, au cœur du laboratoire où bouillonne la création surréaliste.
Malgré un style que déforce quelque peu la récurrence des marques d’oralité, l’ouvrage de Valentina Bianchi n’en constitue pas moins une belle contribution à la compréhension du surréalisme belge. Belle comme la rencontre fortuite de deux très grands noms…