Pierre PUTTEMANS, La Constellation du chien et autres textes, 2015, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 176 p., 7,50 € / epub : 6.99 €
On n’imaginait pas tout de suite l’architecte et poète Pierre Puttemans en mai-maître docile et fervent d’un insupportable chien-chien, régnant sur la maisonnée. Une ‘promotion’ décernée par la boulangère, dont lui-même s’étonne et se félicite aux premières pages d’un petit livre désopilant, La constellation du chien, paru en 1990 et que la collection Espace Nord nous permet de (re)découvrir dans sa fraîcheur, sa malice et son humour, alors que l’auteur nous a quittés voici deux ans.
On m’a reconnu, jusqu’à présent, quelques qualités (au sens où l’entend Musil). On m’a pourvu de titres. On m’a appelé monsieur, confrère, jeune homme (il y longtemps) et même sergent. Mai-maître, jamais.
Et ce mai-maître, presque énamouré, décrit avec une indulgence infinie les us et coutumes, les goûts bien arrêtés de son quadrupède. Quelques exemples ?
Ce perpétuel affamé ne tolère pas de se trouver devant une porte fermée, certain de manquer le banquet orgiaque qu’elle lui cache nécessairement, et le fait savoir bruyamment.
À la première occasion, il se précipite au-dehors, mais à peine dans la rue ou au jardin, il n’a de cesse de rentrer, hurlant jusqu’à être exaucé.
Les départs en voiture sont le théâtre de plusieurs rites auxquels il est vain d’espérer échapper ; les retours au logis tout autant.
Le monde se divise en deux catégories : ceux qui reçoivent le chien-chien, peu nombreux on s’en doute, et ceux qui se gardent soigneusement de l’accueillir. La bienveillance des premiers est aussitôt mise à l’épreuve ! Débarquant comme en terrain conquis, notre chien-chien « repère immanquablement le fauteuil recouvert du tissu le plus rare, le meuble inouï et fragile que les antiquaires leur jalousent ». Il s’installe confortablement et s’endort avec force ronflements. Après le repas, dont il a quémandé avec insistance sa part, il regagne son fauteuil, le meilleur, dont ses trente kilos ne se laissent pas aisément déloger !
L’observation tourne à la méditation, quand l’auteur s’interroge sur « la nature profonde de la fonction de mai-maître ». Qui, de lui ou du chien-chien, suit l’autre ? Cède à l’autre ? En est tributaire, au point de finir par lui ressembler ?
Rien de tel avec les chats de la maison (bien entendu, on n’a « jamais, au grand jamais, vu de chat-chat », la chose est impensable, impossible) qui considèrent le chien-chien avec un respect dédaigneux.
Vient le jour où la maladie emporte le chien-chien. Le mai-maître, dépossédé (encore qu’on puisse se demander lequel appartenait à l’autre), n’est plus lui-même. Tourne à vide… Mais il sentira, le temps passant, que le chien-chien, désormais invisible, est toujours là.
Au fil des petits textes qui escortent cette Constellation du chien, nous retrouvons des échos du mystérieux Monomotapa ; nous amusons de croquis acidulés, de dictons revisités (« Un seul hêtre vous manque et tout est déboisé »), de calembours imprévus et autres fantaisies de ce franc-tireur qui participa au mouvement post-surréaliste et à la revue Phantomas. Sous le signe de la subversion ironique, de la provocation joueuse et de l’humour, défiant le conformisme et l’esprit de sérieux.
Le joyeux combat continue !
Francine GHYSEN
Ping : Bibliographie. Mai 2015/2e partie | Le Carnet et les Instants