Les proies du secret

Barbara ABEL, L’innocence des bourreaux, Paris, Belfond, 2015, 315 p., 18,50 € / epub : 12,99 €

abel« Tous à terre ! Le premier qui bouge, je le bute ! ». Pour Jo, un jeune junkie en manque, braquer la caisse de cette petite supérette de quartier représente la chance ultime, sésame indispensable qui lui permettra de se procurer sa dose.

Avec L’innocence des bourreaux, Barbara Abel signe un thriller psychologique rythmé, au style vif et percutant, dans lequel le lecteur se sent comme happé dès les premières pages. Les chapitres se succèdent, courts et efficaces, en alternant les points de vue de chacun des personnages, les états d’âme des uns et des autres face au drame qui se joue devant eux et dont ils tiennent malgré eux les rôles principaux. À côté du braquage, ce sont les relations humaines dans toute leur complexité qui sont au cœur du récit. Plongé dans les pensées parfois inavouables de tous ces gens, le lecteur est pris d’une irrésistible envie d’en connaitre davantage à mesure que l’auteur dévoile les petits secrets, les tourments, les craintes et les failles de ces Monsieur et Madame-Tout-le-Monde, a priori sans histoire.

L’intrigue, qui s’installe très rapidement, nous envoie, en une fin de matinée, dans l’intimité – d’un appartement, d’une chambre d’hôtel – des différents protagonistes, comme spectateur d’une tranche de leur quotidien somme toute assez banale, quoiqu’inconfortable : chez Aline et son adolescent de fils Théo, entre lesquels éclate une violente dispute ; chez Germaine, infecte vieille femme, et son aide familiale Michèle ; chez Léa, jeune maman d’un petit Émile, scotché devant Le livre de la Jungle, en rupture de couches pour la nuit ; chez Guillaume, qui vient d’être réveillé par Camille, sa collègue et surtout coup d’un soir qui se pense potentiellement enceinte de lui, et auprès de Thomas, comptable et père de famille, et de Sophie, réceptionniste, eux aussi collègues… eux aussi amants. Tous convergent vers un même lieu, la supérette, dans laquelle Jo s’apprête à faire une entrée fracassante, armé et cagoulé. Un huis clos s’installe, les coups de théâtre se succèdent, rien ne se passe comme prévu, les témoins deviennent gênants… De bourreau à victime, il n’y a qu’un pas !

Si L’innocence des bourreaux, dans son ensemble, tient le lecteur en haleine et se lit – se dévore ? – en quelques heures, sa structure originale et son dynamisme n’occultent toutefois pas quelques lourdeurs de style, invraisemblances et passages plus faibles. Si l’on s’immisce volontiers dans la vie des personnages, captant, presqu’en secret, une infime partie de leur existence, le lecteur reste le plus souvent extérieur à l’histoire, tel un curieux qui observerait la scène, et ne vibre pas réellement avec/pour eux, malgré une tension bien présente et quelques profils psychologiques, il est vrai, plus fins – notamment celui de Germaine.

Et c’est déjà la fin, trop abrupte, comme inachevée, en suspens. Dommage ! On aurait encore bien tourné quelques pages…

Marie DEWEZ

♦ Lire un extrait de L’innocence des bourreaux proposé par Belfond