Aïe, mes aïeux!

Séverine RADOUX

oultremontAline, dite Aliocha, vient d’assister à la mort de Babouchka, sa grand-mère qui l’a élevée et qui est partie en emportant avec elle un secret de famille. Peu habituée à la mort, Aliocha doit appréhender son deuil et vivre avec la frustration de n’avoir pas pu entendre la révélation du mystère familial. Sur le point de se lancer dans la grande aventure de la maternité avec Eduardo, Aliocha se sent pressée par le besoin impérieux de connaître ses origines. Babouchka à peine enterrée, elle se rend à Sart-la-Jolie, le village natal de sa grand-mère, où elle est directement confrontée à l’hostilité des habitants.

Maman aussi reste muette en ce qui concerne sa petite enfance à Sart-la-Jolie. Elle prétend qu’elle n’a plus de souvenirs […] Quelque chose a dû se passer […] qui nous poursuit de mère en fille. Quelque chose qui s’attaque à notre féminité. Maman accepte passivement. Moi non. Je veux savoir. […] Je veux briser cette chaîne maudite qui me lie au passé de ma mère et de ma grand-mère. Pour que la fille que je souhaite avoir un jour ne souffre pas du même mal que moi. Car le poids du non-dit m’écrase et m’empêche de vivre normalement ma vie de femme.

Fragilisée par son enquête qui piétine, Aliocha trouve refuge au pied d’un platane séculaire de la place principale du village. Doté de la faculté de lire dans les pensées des êtres humains, l’arbre va absorber les ondes négatives qui tourmentent Aliocha et faire vibrer en elle la force qui lui permettra de connaître ses propres racines.

Sèves est un récit à deux voix où nous lisons tour à tour les pensées d’Aliocha et de l’arbre qui vont progressivement entrer en résonance.

Personne ne m’a jamais parlé de la sorte, car chez nous l’amour est silencieux, il n’est fait que d’ondoiements et de frémissements, jamais de paroles. Jeune fille, vous troublez mon cœur de bois et ma ramure tressaille de bonheur.

Le récit retrace non seulement la quête identitaire d’une jeune femme, mais il nous offre aussi le point de vue décalé d’un arbre cultivé, un brin philosophique et poétique. Vous l’aurez compris, c’est un roman sur le poids des secrets et les maux transgénérationnels. Habituellement, ce type de récit est assez pesant à lire, mais ici c’est tout le contraire. L’auteure nous livre un hymne à la beauté de la nature et nous montre, à travers la quête d’Aliocha, que l’on peut avancer dans la vie, quelle que soit la lourdeur des valises du passé. Un roman lumineux dont on ressort avec la conscience aigüe de la sève qui circule à l’intérieur de nous et l’envie irrésistible de prendre un arbre dans ses bras.

Catherine D’OULTREMONT, Sèves, Wavre, Le Cri, 2015, 186 p., 18 €